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M. Goubault ne put rien obtenir de l’ordonnateur ; et Monique est encore esclave du domaine de France !

Il est permis de le dire, sans crainte d’exagération, les autorités des colonies ne sont pas moins impitoyables pour les noirs que les plus mauvais maîtres ; on peut à peine ajouter foi aux actes infâmes qu’elles commettent elles-mêmes. Une épave a encore été vendue en 1838, à la Guadeloupe, avec autorisation du directeur de l’intérieur !

La nommée Manette arrêtée divaguant[1], le 1er novembre 1836, resta à la geôle de la Basse-Terre jusqu’au 15 février 1838, quoiqu’elle se dit libre. Elle ne justifiait ses allégations, il est vrai, par aucun titre ; mais personne ne la réclamait, et nul durant ce long espace de temps ne fit valoir de droit sur elle. Toujours malade d’ailleurs, et causant de grands frais à la geôle, Manette embarrassait fort le concierge. Il rendit compte à l’administration, et sur autorisation il vendit l’épave à un M. Bourreau, habitant de la Capesterre, pour six barils de farine de manioc destinés à éteindre une partie des frais qu’elle avait causés à la geôle. M. Bourreau revendit la pauvre femme avec bon bénéfice à un M. Delaville, brave homme, chez lequel elle se trouvait encore au mois de décembre 1839 !

Comment la justice serait-elle respectée là où ceux mêmes qui en reçurent la garde, ont le cœur si rempli d’injustice ?

Si les actes de l’administration coloniale sont d’une iniquité révoltante ; ceux de l’administration métropolitaine à l’égard des îles, sont marqués au signe d’une incurie, d’une faiblesse et d’une incohérence inexplicables. On trouble la paix des colonies par de petites ordonnances timides qui ne remédient à rien parce qu’elles ne veulent réellement rien. Mieux vaudrait s’abstenir. Qu’est-il résulté de l’ordonnance du 5 janvier 1840, privée qu’elle était de toute sanction pénale ? Aucune amélioration pour les ateliers, et une violente irritation chez les créoles qui jugeant l’inutilité fondamentale de ces moyens de juste mi-

  1. C’est le terme des colonies qui exprime l’état de vagabondage.