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C’est un grand malheur que le ministère de la marine perpétue les folles espérances des créoles, en leur montrant tant de faiblesse. Avec sa morale de juste milieu, le gouvernement joue dans cette grande affaire de l’émancipation, un rôle à tout perdre. Devant le pays, il se présente comme voulant l’abolition ; devant les créoles, il se présente comme entraîné par les chambres, et ils en jugent bien par le défaut de volonté, l’hésitation qu’il apporte dans toutes les choses coloniales. — Les colons, il est bon qu’on le sache en France, ne rendent pas du tout le gouvernement responsable de ce qu’on fait pour les nègres ; il n’obéit, disent-ils qu’aux menées et aux instigations des abolitionistes, il cède à l’activité pernicieuse de ces agens salariés de l’Angleterre, de ces amis gagés des betteravistes ; et il a même été question à un conseil colonial de dénoncer en forme la Société française pour l’abolition de l’esclavage, « de la traduire devant les tribunaux comme une association de mauvais citoyens réunis dans le but avoué d’opérer la spoliation et la destruction de cent mille de leurs concitoyens[1]. »

Si les créoles n’avaient point cette confiance que l’administration ne veut pas l’affranchissement, on trouverait en eux moins de résistance. Ce qu’il faudrait, avant tout, ce serait de la part du ministère une détermination bien arrêtée d’arriver à l’indépendance. Tant que les colonies le verront remettre la question d’année en année, la reculer comme s’il en avait peur, toute tentative de réforme sera reçue par elles comme une tentative d’assassinat ; quoi qu’on fasse, la liberté à chaque pas rencontrera de nouvelles difficultés. Ce m’est point ainsi qu’on gouverne ; veuillez où ne veuillez pas, mais décidez-vous.

Les colonies ont raison, elles demandent à sortir du provisoire, elles veulent savoir à quoi s’en tenir. Comment ne résisteraient-elles pas à ce qu’elles croient un mal, en voyant ces symptômes d’hésitation dans le pouvoir ? Comment penseraient-elles que la métropole veut réellement l’abolition, quand la métro-

  1. Séance du conseil colonial de la Martinique, du 1er novembre 1838.