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encore de compromettre l’autorité du maître. « Envoyez-moi cette femme demain à tel endroit, dit-il, là je l’interrogerai ; les actes seront censés accomplis aujourd’hui. Nous demanderons son extradition. » Oh ! qu’il paiera cher cette fatale complaisance ! Le lendemain la pauvre esclave lui est amenée dans un cabrouet ; elle ne pouvait marcher. Il faut pourtant bien dresser un procès-verbal ; il le rédige, il le date… Il le date de la veille ! Il commet un faux… Fait-il arrêter le coupable ? non, il n’ose prendre l’initiative des poursuites, il considère le scandale que soulèvera un pareil crime ; il voudrait l’étouffer, il en réfère à son chef. Ce chef est trop habile pour se laisser prendre à un tel piége. Il juge que son inférieur veut Jli laisser toute la responsabilité du silence vis-à-vis de la métropole ; il ordonne de poursuivre.

On instruit donc. Arrive le jour des débats.

Le malheureux officier public se présente tout chargé de la haine des colons, car ils lui pardonnent d’autant moins que ses alliances faisaient davantage compter sur lui. C’est un transfuge, un traître ! À le voir on comprend bien qu’il n’a pas l’âme calme d’un magistrat, et qu’il est partie au procès. Son visage est d’une pâleur mate, ses traits sont sillonnés d’amertume ; sa voix est fébrile, quoiqu’il fasse ; et sous le calme que les hommes savent acquérir par une longue domination d’eux-mêmes, une profonde agitation intérieure se révèle aux yeux de celui qui observe. Quel affligeant spectacle ! Son réquisitoire commence par une apologie, une défense personnelle à l’endroit de la colonie ; il explique qu’il avait été mis en demeure par une dénonciation, qu’il ne pouvait se dispenser de procéder contre un coupable ; il cite des articles du Code pour prouver qu’il ne lui a pas été possible de reculer ! C’était une chose affreusement triste de l’entendre demander pardon de remplir son devoir. — La défense est impitoyable, elle profite de tous ses avantages ; elle ne lui épargne rien ; elle lui fait boire le calice jusqu’à la lie ; sur son parquet il est accusé de faux ; sur son parquet il est obligé d’avouer qu’il a rédigé le