Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait que les troubles qui ont eu lieu en 1841, à la Pointe-à-Pitre, naquirent du ressentiment qu’avait inspiré à la jeunesse de couleur la brutalité injurieuse du commandant militaire, M. Defitte. Mais M. Defitte n’est pas créole, va-t-on dire, nous le savons ; peut-être cependant en a-t-il pris quelques-unes des passions, en contractant des intérêts créoles et en entrant par mariage dans une famille créole. Qu’importe que vous ne soyez pas colon. Si vous êtes possesseur d’esclaves, vous acquerrez les idées des colons, et vous n’en serez que plus dur ; car vous n’aurez pas la vieille habitude des concessions à faire à l’esclavage.

Il suffit d’être désintéressé pour concevoir qu’il n’y aura jamais bonne justice, ni bonne administration aux colonies, tant que la magistrature et les agens de l’état y auront des intérêts. De quelqu’énergique probité qu’on soit doué, on subit alors malgré soi l’influence du milieu exclusif dans lequel on vit ; on se retire le libre examen. L’autorité domestique étant en perpétuelle opposition avec l’autorité publique, celle-ci ne veut pas agir, crainte de faire dommage à l’autre ; et quand elle ne viole pas ouvertement la loi, elle se tire d’embarras par des compositions où succombent l’ordre véritable, la morale, l’humanité ; disons en un mot la justice, car la justice, c’est toutes les perfections et tous les biens ensemble.

Qu’on se rappelle la position du procureur du roi, M. Maraist, dans l’affaire Mahaudière. Européen de naissance, mais marié à la Guadeloupe, sa conscience n’était-elle pas enchaînée malgré lui ? Devenu habitant, pouvait-il dire au monde du haut de son tribunal, les excès auxquels un habitant à la faculté de se livrer ? Aussi quelle lutte entre le magistrat chargé des intérêts de la justice, et le propriétaire obligé de ménager les intérêts de la communauté ! Il se transporte sur un établissement pour constater une séquestration de vingt-deux mois, il y reçoit l’aveu du propriétaire et il ne délivre pas immédiatement la victime, il ne la regarde même pas, il ne se fait point ouvrir le cachot ! Quoique seul, sans suite, sans appareil, il craint