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teur de l’intérieur, M. Billecocq, habitant ; le commandant militaire, M. Defitte, habitant ; le trésorier-général, M. Navaille, habitant, etc., etc. Quelle équité espérer d’une telle administration ? quelle sympathie pour les esclaves pourrait-elle avoir ? Nous n’accusons pas les individus, nous ne les connaissons pas ; mais au nom de la nature humaine nous sommes sûr de leur partialité. Ils sont hommes, ils obéissent à la loi commune qui nous enlève la force de condamner nos amis, qui nous pousse à persécuter nos ennemis.

Il y a aujourd’hui dans la magistrature des Antilles presqu’autant de créoles que d’européens, et comme bon nombre de ces européens se sont formés des liens de famille et de fortune dans le pays (contrairement à la loi organique de l’ordre judiciaire, 1828), il s’en suit que la justice de nos colonies est saturée de l’esprit colonial, esprit essentiellement blanc ; aussi est-ce de la justice blanche qui se rend dans toutes nos îles. L’oligarchie coloniale y est maîtresse des parquets et des tribunaux[1]. Que de dénonciations sont restées sans vérifications ; que d’enquêtes sans réponses ! Combien de crimes ont trouvé l’absolution du silence auprès de celui-là même qui devait les poursuivre ; ne citons qu’un exemple : Le 19 février 1840 l’esclave Adonis vient se plaindre à la gendarmerie d’avoir été soumis à des châtimens excessifs. On le renvoie au maire de la commune de son quartier, M. Belloc, maire de Saint-Fran-

  1. C’est ce qui a fait dire à l’un des accusés dans le procès de 1831 : « Je sais en ma qualité de créole, à quels juges j’ai affaire, je me réjouis d’avoir réussi à mettre la mer entre eux et moi. » Puis autre part : « J’ai peur des juges, peur des témoins, peur des jurés, peur d’une forme oubliée. Je suis né à la Martinique, et je sais comment tout cela s’y arrange ; je me rappelle que dînant un jour sur une habitation, on annonça que trois malheureux, accusés d’avoir voulu assassiner un de ces nobles colons, avaient été arrêtés, et que l’information avait totalement prouvé leur innocence. C’est égal, dit un convive, on aurait dû pendre un innocent pour l’exemple. Cet homme avait une idée exacte de la manière dont la faction coloniale entend la justice. Je m’en suis souvenu, et je cours encore. »
    (La vérité sur les événemens, etc.)