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blancs (on les pourrait compter il est vrai), ont eu le courage de se marier légitimement avec des femmes de couleur, Laissons au temps à achever l’œuvre de ces hardis novateurs. Quoi qu’en disent les vieux créoles qui voient la chose publique mise en péril par de telles témérités, c’est par là qu’elle sera préservée du mal ; c’est dans ce nouveau mélange des genres ! que se perdront les derniers vestiges du préjugé. Nous y voyons l’avenir des colonies. Un économiste renommé a jeté une parole de malédiction qui ne se réalisera pas : il n’est pas vrai que les deux races n’aient qu’un compte de sang à régler ensemble, et que l’une doive infailliblement exterminer l’autre, ou plutôt cela n’est vrai qu’autant que l’une resterait esclave de l’autre. La liberté les sauvera. « L’amalgame des races blanche et noire est contre nature ; leur fusion est impossible, Dieu n’a point voulu qu’elles s’assimilassent », a dit l’Américain M. Clay, à la grande approbation de M. Lepelletier Duclary. Que répondre à ces aveugles qui n’ont point apparemment rencontré un seul mulâtre dans leur vie ? Rien. Il n’y a pas à discuter avec eux.

Malgré les antipathies actuelles que l’esclavage a créées entre les deux races, on peut compter sur leur alliance future, elle est ineffaçablement écrite dans la similitude de leur espèce ! C’est encore du temps qu’il faut ici.

Et cette alliance produira peut-être de grandes choses. En examinant la position des Antilles au milieu de l’Océan, groupées toutes entre l’Europe et l’Amérique, en regardant sur la carte où on les voit presque se toucher, on est pris de la pensée qu’elles pourraient bien un jour constituer ensemble un corps social à part dans le monde moderne, comme les îles Ioniennes en formèrent un autrefois dans le monde ancien. Petites républiques indépendantes, elles seraient unies confédérativement par un intérêt commun et auraient une marine, une industrie, des arts, une littérature qui leur seraient propres. Cela ne se fera peut-être pas dans un, dans deux, dans trois siècles, il faudra auparavant que les haines de rivalité s’effa-