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dera long-temps avant que les émancipés enrichis puissent faire comme elle. Les richesses aussi aplaniront bien des difficultés. Le commerce a presque fait disparaître la guerre du monde, il fera disparaître également le préjugé des colonies par l’argent qu’il mettra aux mains des marchands nègres et mulâtres ; l’argent viendra porter là encore son niveau et diminuer les distances : des aristocrates blancs épouseront des héritières noires, comme autrefois les marquis ont épousé des financières.

En écrivant ces mots, nous voyons d’avance les créoles qui les liront, hausser les épaules. — En vérité, nous avons grand peine à nous rendre compte des prétendues répugnances que montrent les colons pour les unions noires, eux que l’on voit tous les jours déserter leurs femmes pour des négresses. Cet impossible, qu’ils prononcent au mot de mariage de fusion, fait, il nous semble, peu d’honneur à leur sincérité ou à leur jugement. La classe de couleur avec toutes ses variétés est-elle donc autre chose que le fruit d’unions entre blancs et noires, unions illégitimes plus ou moins prolongées, mais enfin unions indéniables ? Si la femme noire a des attraits bons pour une concubine, n’est-il pas clair qu’en l’élevant bien on lui communiquera les qualités bonnes pour une épouse. Quoi ! me disait-on, vous épouseriez une négresse ? et l’on paraissait incrédule lorsque je répondais affirmativement. L’histoire des Antilles nous affirme pourtant que les ancêtres de ces incrédules presque tous pères de petits mulâtres, que leurs ancêtres, disons-nous, n’auraient point eu de ces étonnemens. Labat a vu à la Martinique des marquises, de vraies marquises qui étaient de bonnes et franches négresses comme il dit et probablement nous en aurions encore si l’on n’avait plus tard expressément défendu ces mariages, nuisibles au mépris que l’on voulait maintenir contre la race des esclaves. Hillard d’Auberteuil[1] rapporte qu’en 1773, il existait à Saint-Domingue seulement plus de trois cents ma-

  1. Considérations sur Saint-Domingue.