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gnaient, de former une société qui aurait vaincu l’autre en charité et en noblesse de sentimens, qui se serait montrée au monde plus douce et plus morale que l’autre, comme firent autrefois les chrétiens contre les payens ; ce sera toujours la meilleure ressource des persécutés pour tuer la persécution.

Les mulâtres acceptent encore aujourd’hui comme une sorte d’injure qu’on les appelle mulâtre, il faut qu’ils s’en fassent un titre et s’en glorifient jusqu’à ce qu’on ne connaisse plus de différence entre eux et les blancs. M. Bissette a constamment prêché cette excellente doctrine dans sa Revue des Colonies, il est fâcheux qu’on ne le veuille pas écouter.

Les hommes de couleur d’Europe qui ont gagné un nom, sont restés parmi nous au lieu d’aller l’offrir en exemple aux amis, en admiration aux ennemis. La postérité leur fera l’éternel reproche de ne l’avoir point mêlé aux luttes fraternelles, ce nom qu’il leur fut donné de rendre éclatant. Les autres, bien élevés au sein des collèges de France, capables de tenir un rang distingué dans le monde et de communiquer à leur classe l’éclat de leur mérite, sitôt qu’ils retournent aux colonies, se dégoûtent vaniteusement de l’infime condition où ils se trouvent, ne savent point se suffire avec l’élite de leurs semblables ; ils aspirent à ce qu’ils devraient mépriser, s’irritent de leur solitude, et peu à peu quittent le pays pour n’y plus reparaître. Ils veulent oublier qu’en abandonnant la patrie, ils abandonnent aussi la noble tâche qu’ils avaient à remplir pour la réhabilitation de leur race ; ils désertent une cause sacrée. On nous a cité un officier d’artillerie sang mêlé qui envoyé à la Martinique demanda vite à permuter, ne pouvant tolérer la situation gênante que lui faisait la couleur de sa peau. Et cependant, toujours bien avec ses camarades qui fermaient oreille aux murmures de leur caste en faveur d’un frère d’armes, ayant ainsi déjà des alliances avec l’étranger, il pouvait servir de premier lien à un rapprochement désirable. Sa position était magnifique, il recula devant quelques déboires passagers. Qu’arrive-t-il de cette insuffisance philosophique dans les aînés