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fortunes, et comme firent en 1817 les gens de couleur libres de Philadelphie avec le vénérable James Forten à leur tête, de signer le serment que nous allons transcrire. « Nous jurons de ne jamais nous séparer volontairement de la population esclave de ce pays. Les nègres sont nos frères par les attaches du sang et de la souffrance, et nous comprenons qu’il est plus vertueux d’endurer des privations avec eux que de jouir pour un temps de quelques avantages imaginaires[1]. » M. Mondésir Richard, un des esprits les plus distingués que possède la classe de couleur, l’a fort bien dit : « Nous ne devons attacher aucune importance à entrer chez les blancs, à les fréquenter. Notre rôle est de viser à une fusion politique réelle avec eux, pour obtenir notre part d’autorité locale. Quant à la fusion sociale, je ne la comprends à cette heure qu’avec la population noire. Pour mon compte je ne veux d’alliance qu’avec les nègres, parce que là et rien que là est notre force. » Ces idées sont très sages et très saines ; elles peuvent seules amener une solution pacifique des difficultés.

Les mulâtres, dans toutes leurs entreprises, ont toujours été battus, nous ne le regrettons pas parce qu’ils ont toujours abandonné et oublié les esclaves, leurs alliés naturels. Ce qu’ils ont à faire avant tout maintenant c’est de prendre part à la croisade contre l’esclavage, en s’interdisant de posséder des esclaves. Ils ont toujours mis d’ailleurs une insigne maladresse dans leurs efforts pour dompter l’orgueil des blancs ; ils n’ont pris la voie ni la plus sûre, ni la plus digne, celle d’avoir pour leurs antagonistes les mêmes rigueurs que ceux-ci leur témoi-

  1. C’est par des actes aussi honorables que les mulâtres américains ont provoqué des lois qui leur font autant d’honneur que celles-ci ; dès 1807, un acte de la législature de la Nouvelle-Orléans prohiba l’entrée du territoire de la Louisiane à tout homme de couleur libre. Le 16 mars 1830, la même défense fut renouvelée, sous peine d’un an d’emprisonnement pour la première contravention, et des travaux à perpétuité pour la récidive. Toute personne qui émancipe un esclave à la Louisiane, doit fournir un cautionnement portant la condition expresse que l’esclave émancipé quittera l’état pour toujours.