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blement expressifs ne manquent pas contre leurs fils insolens : « Quand milate tini iun chouval, li dit négresse pas maman li[1] » — Les gens de couleur voudraient s’élever jusqu’aux blancs, mais sans faire monter les noirs avec eux ; ils ne réussiront pas. L’histoire de Saint-Domingue devrait leur être d’un meilleur enseignement qu’on ne le voit. Les sang mêlés d’Haïti prêtèrent en vain leurs coupables services à la classe blanche contre les esclaves, la classe blanche ne fit que les mépriser davantage ; ils ne se relevèrent qu’après s’être associés aux esclaves, et tous les malheurs qu’éprouve encore la jeune république haïtienne tiennent, on peut dire, à de vieux restans de l’aristocratie épidermique.

Au lieu de faire effort pour se rapprocher piteusement de la classe blanche, les hommes de couleur doivent se rapprocher fraternellement des noirs. C’est dans une telle alliance qu’est leur émancipation réelle. Une des raisons de la force des blancs est leur parfaite union dans une pensée commune ; les sang mêlés et les noirs au contraire sont divisés et se haïssent ; il faut que les sang mêlés se joignent étroitement avec les noirs libres, il faut qu’ils ne forment ensemble qu’un tout homogène, Il ne sera pas seulement généreux, il sera utile d’unir les deux

  1. Quand un mulâtre a un cheval (possède quelque chose), il dit que sa mère n’était pas une négresse. — Le reproche que nous faisons ici à la classe de couleur de nos Antilles ne leur est pas particulier ; toutes les îles à esclaves offrent le même triste exemple de démence. Dans les îles danoises où le préjugé blanc s’est un peu modifié, où les gouverneurs ont des hommes de couleur pour secrétaires, et reçoivent à table ces impurs, sans que cela paraisse gêner ni choquer les blancs de la compagnie ; ce pas que l’on a fait vers eux, les gens de couleur ne l’ont pas fait vers les nègres. Là aussi, comme chez nous, un esclave aime beaucoup mieux appartenir à un blanc qu’à un sang mêlé, ce qui veut dire que les sang mêlés traitent leurs inférieurs avec plus de dureté que les blancs ne le font. Le sentiment de la désaffection de l’esclave, et le manque d’éducation expliquent assez la chose pour qu’il soit inutile d’insister là-dessus. L’homme opprimé est plus oppresseur, il se venge sur les faibles du mépris des forts : c’est une loi du mauvais côté de notre nature.