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agitent ces belles et malheureuses îles ! Le même conseil qui vient de refuser l’allocation parce que des jeunes gens de couleur pourraient s’instruire, ose voter tous les ans des fonds pris sur les contribuables de toutes couleurs (10, 000 francs, je crois), pour une espèce de couvent des dames de Saint-Joseph où ne sont élevées que des filles blanches, et dont il nous est assuré que les portes sont fermées aux filles sang mêlé ! Bien mieux, quoique ces couvens relèvent comme nos collèges de l’administration qui peut y disposer de dix bourses, l’action des blancs sur elle est si puissante, le vieux système colonial est encore si respecté, qu’à la Guadeloupe comme à la Martinique, l’autorité circonvenue, incertaine, pusillanime, n’a jamais eu le courage ni l’équité d’en donner une à quelque pauvre fille négresse. On ne sait vraiment de quoi s’étonner davantage, ou de voir les gouverneurs et directeurs des colonies se faire ainsi les complices des gothiques prétentions d’une caste peu généreuse, ou de voir la métropole ne leur pas imposer la justice au moins en cela.

Ces indignes faiblesses du pouvoir colonial vont jusqu’à l’inhumanité. À Saint-Pierre, l’hospice d’orphelins et d’enfans trouvés ne reçoit que des blancs, et repousse impitoyablement tout petit malheureux de couleur. « Ceux-là ont toujours, à quelqu’âge que ce soit, la ressource de se faire domestique. » C’est ce que nous répondit la sœur de Saint-Joseph qui nous accompagnait dans notre visite à l’hospice. Bonne sœur !

Revenons aux hommes de la classe libre : il faut qu’un abolitioniste le leur dise, il est urgent de l’avouer, dans la lutte sourde qui a lieu sur les terres des Antilles, ils nuisent eux-mêmes à leur propre cause ; ils ne se dirigent ni avec adresse ni avec courage moral, ni avec la dignité qui serait nécessaire dans leur position, Ce que les commissaires de la Convention écrivaient en juillet 93, aux hommes de couleur de Saint-Domingue, est encore vrai aujourd’hui pour ceux de la Martinique et de la Guadeloupe. « Vous avez parmi vous des aristocrates de la peau, comme il y en a parmi les blancs, aristocrates plus in-