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Le ministère dans ses Notices ne fait pas monter le nombre des condamnés de la Guadeloupe au-delà de 45 : 26 libres et 19 esclaves[1] pour l’année 1833. C’est un crime sur 3,447 individus de toute qualité. La même année, la Martinique a un crime sur 2,847 individus. Est-ce donc là une race naturellement perverse et méchante ? Il faut dire la vérité entière cependant, tous les coupables ne sont pas atteints. Il y a là-bas une plaie particulière encore au système colonial, c’est le vol que des gens libres commettent de complicité avec des esclaves, presque sûrs qu’ils sont de l’impunité. En effet, le maître pour les traduire serait obligé de traduire aussi son esclave ; mais comme celui-ci serait également condamné, il préfère manquer au devoir d’accuser l’homme dangereux et renoncer à la punition du coupable, plutôt que de perdre pour un certain temps l’instrument de travail appelé nègre.

En somme, le plus grand nombre des affaires portées devant les tribunaux des îles sont pour voies de fait. Dans les pays à esclaves on doit naturellement, et par habitude, finir volontiers toute discussion au moyen d’un soufflet. Sauf ces tristes facilités, la société politique coloniale voit peu d’excès. Durant les épidémies et à l’époque des hivernages, où l’on craint le séjour des villes pour la troupe ; tous les postes quelquefois sont vidés ; les cités se gardent elles seules, et l’ordre s’y maintient intact. Les plus grandes causes de troubles que l’on ait jamais à y réprimer, prennent naissance dans les collisions d’amour-propre entre les diverses races. Que la mollesse produite par le climat soit pour quelque chose dans cette tran-

  1. Que l’on ne s’étonne pas de voir les esclaves ne figurer que dans une proportion minime au nombre des prisonniers. Leurs délits ressortent bien des tribunaux, mais ils sont soustraits à la loi et jugés sur les habitations. Les propriétaires ne s’exposent pas volontiers à faire condamner leurs nègres à deux, trois et cinq ans de prison ; c’est du temps perdu pour eux. On a ici une nouvelle preuve de la véracité de notre assertion précédente. « L’esclave n’est pas soumis à un pouvoir public. »