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posé aux gens de couleur ? Il leur arrive ce qui arrivait il n’y a pas encore bien long-temps en Europe aux comédiens. Voués au mépris, quoiqu’ils fissent, ceux-ci justifiaient l’anathème par leur conduite. On ne voulait pas comprendre que leurs vices venaient de l’anathème, et en effet depuis que l’absurde réprobation qui les démoralisait commence à s’effacer, on les voit femmes et hommes commencer tous à s’élever, à gagner les degrés de la considération qu’on leur rend. Allez, la société est toujours de moitié dans les crimes des individus. Les élémens sont bons, elle seule presque toujours est coupable quand ils se pervertissent.

À cet égard, il se passe aux Antilles mêmes, un fait qui nous semble mériter l’attention des hommes sérieux. Par suite du respect qu’il est de la politique coloniale d’inspirer aux noirs pour les blancs, il est arrivé que les blancs ont été obligés de se respecter les uns les autres. Quels qu’ils fussent ils avaient la noblesse de la peau ; ils étaient et ils sont tous égaux au nom de l’épiderme. C’est pourquoi l’on trouve partout sur les habitations, les économes, paysans émigrés, gendarmes retirés et soldats libérés, gens de rien enfin comme disent les aristocrates, assis à la table du maître. Ils savent tout au plus signer leurs noms ; mais ils sont blancs, ils ont droit au même pain et au même sel. On a vu, cela nous fut assuré par M. Ferry, négociant de la Pointe-à-Pitre, on a vu dans les tournées que font les gouverneurs, les gendarmes de leur suite manger avec leurs excellences chez l’habitant de vieille roche qui reçoit le vice-roi colonial, Or, plusieurs économes sont connus pour être de ces domestiques dont nous avons parlé, qui jettent la livrée aux orties par orgueil du tissu réticulaire, et les colons qui vous répondent toujours quand vous leur parlez du préjugé de couleur : « Dînez-vous en Europe avec votre cordonnier ? » ne trouvent aucun embarras à dîner avec un homme qui cirait leurs bottes six mois auparavant, Pauvre espèce humaine ! — Entendons-nous bien : ce n’est point de dîner avec les domestiques, voire avec les gendarmes, que je blâme les gouverneurs