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ni merci, qui ne sont peut-être pas toujours étrangères aux drames de poison qui se jouent dans les îles.

À la vérité, il y a aujourd’hui plus que du préjugé seulement dans le préjugé, il y a de la colère, de la haine. La loi du 24 avril 1833, en abolissant les distinctions établies par l’ancienne législation coloniale et en conférant les droits politiques aux libres de toutes couleurs, soit de naissance, soit par suite d’affranchissement personnel, a dessiné les instincts d’antagonisme qui subsistaient entre les deux classes. La loi est bonne, puisqu’elle prépare évidemment la fusion ; son bénéfice est assuré dans l’avenir ; mais elle n’a fait encore que développer les germes de rivalité existans. Il fallait que cela fut. Avant la reconnaissance de leurs droits politiques, les hommes de couleur libres étaient les clients des patriciens à peau blanche, ils en sont devenus les rivaux ; et comme tous les rivaux placés au rang inférieur, ils veulent, par la raison qu’ils ont les passions propres à l’homme, ils veulent plus que l’égalité, ils voudraient la domination. Aujourd’hui patrons et clients se haïssent et se méprisent : les uns parce qu’ils voient leurs anciens serviteurs aspirer à monter ; les autres parce que ce sentiment de légalité auquel on a permis de se manifester et la possibilité d’arriver à tous emplois, leur rendent plus insupportables l’éducation, la richesse, les places, la prépondérance accumulées dans les mains de leurs anciens patrons.

Aujourd’hui il y a séparation complète, à la Martinique surtout, ce sont deux partis en présence, et il est notoire que la milice de cette île, suspendue après les troubles de 1833, n’a pas encore été réorganisée, grâce à l’influence des blancs qui ont voulu éviter cette occasion forcée de contact avec leurs adversaires.

Les droits politiques accordés à la classe de couleur ne consistent guères cependant qu’à les rendre aptes au service de la milice, puisque la charte fait encore reposer ces droits sur les bases de l’impôt. Les Français ne sont dignes et capables de faire fonction de citoyen que lorsqu’ils paient une certaine