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même ne permet pas qu’il leur soit donné une poignée de main, et comme jamais de pareilles sottises ne vont sans intolérance, le blanc qui fréquenterait un homme de couleur, serait immédiatement noté d’infamie et rayé du livre d’or colonial.

Un fait récent passé à Cayenne offre un exemple de ce qu’il y a encore de folie dans le préjugé de couleur parmi les colons. M. Brache ayant voulu se marier avec une demoiselle sang mêlé fit publier les bans ; son frère qui s’était marié précédemment sans songer que ses père et mère étant morts il lui restât des ascendans dont l’autorisation fut nécessaire, mit opposition au mariage sous prétexte qu’il avait entendu dire que son grand-père vivait encore. M. Brache jeune informa de cette difficulté le procureur-général M. Morel, celui-ci répondit que les tribunaux devaient en juger ! Un arrêt de la cour royale enjoignit à l’officier civil de passer outre. Mais M. Brache est commis de marine, il se transporte chez le gouverneur pour être autorisé. Le voudra-t-on croire, le gouverneur, son nom m’échappe, j’en suis fâché ; le gouverneur refuse ! M. Brache alors donne sa démission, il se marie, et le soir même les blancs furieux de cette mésalliance d’un des leurs, donnent un effroyable charivari aux jeunes époux… « Étranges mœurs ! dit judicieusement le Droit en racontant tout cela dans son numéro du 20 février 1842. Qu’un blanc vive en concubinage avec une fille de couleur, personne ne songe à le trouver mauvais, mais qu’il l’épouse, toute sa caste crie au scandale. »

Nous avons entendu un habitant qui avait trouvé un excellent moyen pour expliquer ou plutôt pour justifier son aversion contre les gens de couleur. « En refusant tout rapport avec eux, disait-il, j’évite des affronts forcés à leur faire, car les personnes de cette classe, ayant toutes des relations de parenté avec nos esclaves, ils retrouveraient en moi pour leur famille le mépris que je ne leur témoignerais pas à eux-mêmes. » Voilà de tels préjugés peuvent conduire un homme de bon sens. C’est avec de semblables raisons que l’on perpétue les rivalités de caste, les inimitiés d’amour-propre blessé ; inimitiés sans frein