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dans la seconde fiction de l’inhabileté des noirs à jamais acquérir cette supériorité. Il dérivait de là forcément que tout individu qui aurait du sang inférieur dans les veines, ne devait plus pouvoir aspirer à l’égalité avec ceux de la classe à sang noble : la dégradation du mulâtre n’était qu’un écho de l’asservissement du noir ; une nécessité de logique.

Afin d’échapper à l’ignominie, les gens de couleur qui ne se piquèrent jamais de réagir contre le mal tout d’imagination dont ils étaient frappés comme leurs mères, firent individuellement de grands efforts, dès le principe, pour se faire déclarer de race indienne (les Indiens n’étant point en esclavage on n’avait pas eu besoin d’avilir leur sang, et ils ne cessèrent jamais de jouir de tous les privilèges attribués à la race blanche) ; mais les mulâtres, à moins d’employer d’actifs moyens de corruption dans les bureaux de la métropole, ne parvenaient point à obtenir l’honneur d’avoir été portés dans les flancs d’une caraïbesse plutôt que dans ceux d’une négresse.

« J’ai rendu compte au roi, écrivait le ministre au gouverneur de Saint-Domingue, le 27 mai 1771 de la lettre de MM. de Nolivos et Bougars, du 10 avril 1770, contenant leurs réflexions sur la demande qu’ont faite les sieurs ** de lettres patentes qui les déclarent issus de race indienne. Sa Majesté n’a pas jugé à propos de la leur accorder, elle a pensé qu’une pareille grâce tendrait à détruire la différence que la nature a mise entre les blancs et les noirs, et que le préjugé politique a eu soin d’entretenir comme une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendans ne devaient jamais atteindre, parce qu’il importe au bon ordre de ne pas affaiblir l’état d’humiliation attaché à l’espèce noire, dans quelque degré que ce soit ; préjugé d’autant plus utile qu’il est dans le cœur même des esclaves, et qu’il contribue au repos de la colonie. Sa Majesté a approuvé en conséquence que vous ayez refusé de solliciter pour les sieurs ** la faveur d’être déclarés issus de race indienne, et elle vous recommande de ne favoriser, sous aucun prétexte, les alliances des blancs avec les filles des sang mêlés. »