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entendu des avocats et des prédicateurs noirs, auxquels il reconnaissait de l’éloquence et de belles idées. Enfin les deux journaux de la colonie, qui sont également rédigés par des nègres, lui ont semblé fort bien faits. Mettant de côté les préjugés de peau si invétérés chez les Américains ; il avait dîné chez le gouverneur avec plusieurs personnages du pays, dont il louait les manières et la conversation ; l’un d’eux, disait-il, était un homme particulièrement instruit. En un mot, c’est une imitation heureuse de la civilisation européenne qui s’élabore là sur les côtes d’Afrique ; et le voyageur admettait que Liberia pouvait un jour devenir un agent de lumière pour l’intérieur. Il n’est pas jusqu’à la guerre ou la colonie noire ne se montre égale à tout ce que pourrait être une colonie blanche ; ayant eu quelques démêlés avec une peuplade voisine, cent de ses miliciens armés et manœuvrant comme nos soldats, suffirent à mettre en fuite une bande de quatre mille ennemis. Ainsi, l’excellence ne tient pas foncièrement à la race blanche, mais aux moyens qu’elle sait employer, puisque des mains noires instruites à savoir s’en servir, opèrent les mêmes prodiges.

Les rapports du capitaine Bell méritent d’autant plus de créance que personnellement il croit à la supériorité native des blancs sur les nègres. Il racontait pour preuve que les nègres la reconnaissent eux-mêmes, que les Africains des tribus nomment les colons de Liberia, les nouveaux blancs, the new white men. Des hommes qu’il rencontra dans la campagne occupés à des ouvrages d’agriculture, et auxquels il demanda s’ils ne se sentaient pas de disposition à gagner l’intérieur, lui répondirent : Oh ! non, nous sommes des hommes blancs, des white men. On peut voir là un hommage rendu par ces nègres à ceux dont ils reconnaissent avoir reçu la vie intellectuelle et industrielle, mais non pas l’attestation d’une infériorité imprescriptible dont ils auraient conscience. Il ne faut pas oublier non plus que toute cette population est imbue des préjugés de couleur au sein desquels elle vécut long-temps en Amérique. Pour aujourd’hui, d’ailleurs, la question est de mince importance.