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un chien : « Moin c’est savanne ous c’est bœuf. » Je suis immobile et fécond comme la terre, vous n’êtes propre, vous, qu’à aller de côté et d’autre comme le bœuf. — Parmi tous les sophismes des créoles sur l’esclavage en est-il beaucoup de plus subtil que celui-là ?

Nous renvoyons à la fin de ce volume une collection de proverbes nègres dans lesquels on en trouvera bon nombre d’un sens admirable, d’une tournure très originale et de la pensée la plus élevée (a). Nous y joignons un conte d’une ingéniosité charmante que nous avons pu nous procurer dans toute sa pureté créole. Ces contes sont des cadres à improvisation que le narrateur brode à sa guise. Il en existe beaucoup de ce caractère simple et fin qui rappelle la manière des contes Iolofs dont M. Roger a donné de ravissans échantillons dans ses fables sénégalaises. Ils protestent avec une force singulière contre le défaut d’attention, le manque de suite dans les idées, que les créoles, même ceux de bonne foi, disent avoir remarqués chez les nègres. Cette incapacité de réflexion doit-être attribuée, nous le croyons, au peu d’exercice des facultés réflectives que l’esclave a occasion de faire. — Son unique destin, dans ce monde, est de creuser des trous de cannes, de les sarcler, de les épailler et de les convertir en sucre ; après cela il est homme, il est père, il est chrétien, s’il veut et comme il peut. Lorsqu’il dit ma main, mon corps, moi-même, ce n’est pour lui qu’une figure car il appartient tout entier à son propriétaire et le profit de son propriétaire est l’unique fin de son être. — L’homme qui n’a à penser à rien, et ne vit point de sa propre vie, ne doit-il pas naturellement perdre l’attention ? On abandonne les nègres à leurs instincts sans qu’ils aient le moindre usage de leur intelligence, et puis après on reproche à leur nature intime d’être de l’instinct sans réflexion ; on les a dépravés par l’abrutissement de la servitude, et l’on dit que ce sont des idiots. Rappelez-vous donc ce que M. Czinski rapporte des serfs polonais. « J’ai vu cent fois de pauvres serfs suer sang et eau pendant une heure pour expliquer une commission dont ils