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linier[1] qui, sans aide, a construit le moulin et la roue hydraulique. Mathieu est un véritable mécanicien. Le forgeron étant venu à mourir, il le remplaça, et fit bientôt jusqu’à des vis. Il confectionne tous ses outils lui-même. Le géreur ne fait pas difficulté de dire que cet esclave représente pour l’habitation un capital de 10, 000 francs. M. Gambay en avait moins fait avant de se mettre en marche pour conquérir sa place à l’Académie des sciences, où il siège aujourd’hui parmi les sommités de l’Europe. Mathieu ne sait ni lire ni écrire, il sera fouetté s’il a le malheur de mécontenter même l’’économe, de manquer de respect à un blanc, celui-ci fut-il un goujat ; et si cela plaît à son maître on vendra ses enfans qu’il aime peut être plus que tout autre esclave n’aime les siens, car la sensibilité du cœur s’exalte avec le développement de l’intelligence et la révélation du moi. — Il y a quelques machines à vapeur dans les colonies françaises, il y en a beaucoup dans les colonies anglaises, partout ce sont des nègres qui les conduisent.

À la grande forge du Moule (Guadeloupe), le principal ouvrier est un esclave à peine âgé de vingt-sept ans. Le chef de l’établissement, M. Cadenet, nous disait que ce nègre avait pour lui une valeur de 20, 000 francs, et que le plus habile ouvrier d’Europe ne lui était point supérieur.

En allant visiter la léproserie de la Désirade, en compagnie de M. Jumonville Douville, nous nous arrêtâmes chez une négresse qui lui fit fête, se disant toujours heureuse de servir un grand terrier, parce qu’elle était elle-même de la Grande-Terre, Oui, dis-je, un homme de la Basse-Terre[2] à ce qu’il paraît ne serait pas très bien venu auprès de vous. — Pourquoi, monsieur ? Basse-Terre ou Grande-Terre, c’est toujours la Guadedeloupe, toujours mon pays. — Bon, alors si un homme de France arrive, il ne trouvera pas le même accueil. — Pardon, Français d’Europe ou Français de la Guadeloupe, ne sont-ce

  1. Le moulinier est chargé du moulin.
  2. La Guadeloupe est divisée par un petit bras de mer, en deux parties appelées Basse et Grande-Terre.