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Frère a très bien démontré cette vérité, en disant que « si les peuples étaient soumis à une action naturelle qui déterminât leur développement, on ne pourrait concevoir comment tant de peuples sauvages qui existent encore, ne sont pas sortis de cet état depuis un si grand nombre de siècles[1]. »

Tout ce que l’on dit des Africains, les auteurs espagnols de la découverte l’ont dit des Indiens. Le père Charlevoix, s’exprime en ces termes sur les hommes du Paraguay : « Nous avons déjà vu plus d’une fois que ces Indiens ont naturellement l’esprit fort bouché, et ne comprennent rien à ce qui ne tombe pas sous les sens. Cela parut à nos missionnaires aller jusqu’à la stupidité[2]. »

Mais bien mieux, les inductions que l’on tire de l’état social de l’Afrique contre la nature essentielle des nègres, il y a deux siècles tout au plus, que les Romains auraient pu en tirer de pareilles contre les Gaulois et les Germains ; car le cerveau de l’homme noir ou blanc étant un, l’homme sauvage, blanc ou noir, est partout semblable, de même que l’homme civilisé partout se ressemble. Il est curieux de lire ce que dit Tacite des habitans de la Germanie ; on croirait que ce qu’on écrit aujourd’hui des habitans de la Guinée, a été copié du grand annaliste romain. « Les Germains ont des chevaux blancs sacrés, dont ils observent les henissemens ou le bruit des naseaux. Il n’est pas d’augure plus décisif, non-seulement pour le peuple mais pour les grands, qui croient que ces animaux sont les confidens des dieux dont les prêtres ne sont que les ministres[3]. » On voit que les hommes sont de tous temps les mêmes ; Tacite qui consultait les entrailles des victimes, a grande pitié des Germains qui consultent les henissemens des chevaux blancs ; de même que nous autres qui en étions encore à refaire une loi du sacrilége il y a quinze ans, nous nous moquons beaucoup des fétichistes de la cafrerie !

  1. Principes de la philosophie de l’histoire.
  2. Histoire du Paraguay, livre 5.
  3. Mœurs des Germains, liv. 10.