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Il ne nous paraît pas nécessaire d’entrer ici dans une discussion sur un sujet d’une telle gravité historique. Nous dirons seulement que des créoles en sont encore aujourd’hui à prétendre, plus ou moins sérieusement, que l’esclavage est bon aux nègres, parce qu’il sauve leurs âmes en les faisant chrétiens. Sur ces théories misérables, voici comment s’exprime Montesquieu : « J’aimerais autant dire que la religion donne à ceux qui la professent un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas pour travailler plus aisément à sa propagation. Ce fut cette manière de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans leurs crimes. C’est sur cette idée qu’ils fondèrent le droit de rendre tant de peuples esclaves, car ces brigands qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très-dévots[1]. »

Les créoles, successeurs directs des brigands de Montesquieu, ont continué à être fort dévots. Et l’on peut s’étonner du sacrilège abus qu’ils osent faire du nom de Dieu. Ils croient, disent-ils, à un être suprême souverainement juste, et ils oppriment violemment l’homme fait à son image. Ils adorent profondément l’ineffable bonté du créateur, et ils avilissent à plaisir sa créature. Ils se vantent d’être catholiques, et ils font ce que le pape leur défend de faire. Est-elle donc bien pure la foi de pareils chrétiens ? Il y a des hommes que les niais accusent d’immoralité et appellent impies, parce qu’ils ne partagent point les idées communes sur les principes régulateurs du monde, sur les bases données à la société. Oh ! qu’il est bien fait pour inspirer d’amères réflexions, le spectacle de ces impies là, luttant avec effort pour relever le plus noble ouvrage de Dieu contre les pieuses personnes qui s’attachent à le vouloir dégrader jusqu’aux proportions de l’animal nourri en échange de son travail forcé ! Comment ceux qui ont foi à l’immortalité de l’âme, et tirent si grande vanité de ce don que Moïse ignorait avoir été fait particulièrement à la créature humaine, n’ont-ils point

  1. Esprit des Lois, liv. 15, ch. 4.