Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme tous les prophètes et tous les patriarches, « sous l’inspiration de l’esprit, sous l’inspiration de celui qui jure par lui-même et ne parle jamais en vain », avait droit d’appeler sur les races humaines des peines inabolissables, c’est-à-dire des peines temporelles, comme la douleur et la mort, par opposition aux peines abolissables, c’est-à-dire éternelles, mais rachetables par les mérites du Messie annoncé. Ainsi la mort de Jésus a bien pu racheter les nègres de l’enfer, où ils seraient allés comme les autres hommes, si le Christ n’avait été crucifié, mais non pas de l’esclavage dont le rédempteur ne pouvait pas plus les racheter qu’il ne pouvait racheter les autres de la douleur et de la mort. Voilà qui est clair. Or, Jésus-Christ est venu continuer la loi et les prophètes, la loi et les prophètes prononcent la servitude dans ce monde de la race de Cham ; donc, les nègres doivent être esclaves, et il est impie, schismatique, philosophique et philantropique de soutenir le contraire.

Tout cela est imprimé ; l’auteur, M. Huc, est un des membres les plus influens du conseil colonial de la Martinique ! On aurait tort, du reste, de penser que ces idées soient entièrement nouvelles. Les fauteurs de l’esclavage des nègres les avaient déjà émises au xviiie siècle, et l’abbé Bergier, dans son Dictionnaire de Théologie, admettant avec eux la condamnation, les avait sommés de prouver que Dieu leur eut donné l’honorable mission de faire expier le péché de Cham aux Africains, et qu’ils fussent, à cet égard, les exécuteurs accrédités de la justice céleste.

Pour ceux qui voient dans le Pentateuque et l’Évangile des livres révélés, il est certain que l’esclavage est d’institution divine comme la loi du talion ; mais le christianisme lui-même n’a-t-il pas fini en progressant par combattre cette institution, et aux textes de Moïse ou de saint Paul, qui la maintiennent, ne peut-on pas opposer le bref de Grégoire XVI (3 décembre 1839) qui, reprenant les paroles d’Urbain VIII, vient de déclarer « indigne du nom de chrétien celui qui ose avoir des esclaves ou même soutenir qu’il est permis d’en avoir. »