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culte qui le faisait agir, sur le lieu où elle réside, où elle conserve ses traditions ; et la difficulté de fournir des preuves certaines, entraîna presque toujours l’impossibilité d’une répression légale. Mécontens de s’adresser sans succès aux tribunaux, les maîtres ont fini par y renoncer et s’établissent juges de leurs nègres empoisonneurs. De là, souvent des attentats pareils à celui de Douillard-Mahaudière : sa victime était soupçonnée par lui d’empoisonnement.

En 1822, l’hydre avait exercé d’immenses ravages à la Martinique, on y institua, le 12 août de cette année, une cour prévôtale afin de l’exterminer. Un homme résolu, passionné, sanguinaire, comme il en faut pour être exécuteur des hautes-œuvres, nommé Davoust, et surnommé Coupe-têtes par les nègres, se mit à parcourir le pays avec une bande de sicaires. Il avait pouvoir absolu, se transportait où besoin était, prenait sur les habitations les nègres indiqués par ses dénonciateurs, les jugeait séance tenante, sans pourvoi, sans recours, et leur faisait trancher la tête, en forçant les planteurs à envoyer des députations de leurs ateliers pour assister à l’exécution. On voulait frapper les esclaves de terreur par ces formidables exemples de la justice du roi. Davoust, avant de partir, avait fait forger une grande hache pour les têtes et une petite pour les mains. Il se lassa de ces instrumens trop expéditifs, et fit un jour brûler seize noirs, l’un après l’autre sur la place publique du Lamentin, en présence de plus de vingt mille esclaves, appelés de tous côtés. L’autodafé dura la journée entière, avec une petite pluie fine, qui semblait tomber comme pour servir les desseins de l’inflexible juge prévôtal, et durant la journée entière, il ne sortit pas un mot de la bouche ni des seize suppliciés, ni des vingt mille spectateurs : ceux-ci s’en allèrent calmes et silencieux de même. Mais le lendemain il n’y eût pas une habitation où l’on ne trouvât des bestiaux frappés de mort[1] ! La cour prévôtale dé-

  1. Nous avons cru nécessaire de conserver ce fait tel qu’il parut lorsque nous publiâmes le présent chapitre dans le National du 9 novembre 1841, mais c’est notre devoir de déclarer qu’il est inexact. Nous