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est l’arsenic. Comment les esclaves se le procurent-ils ? On a lieu de croire que l’association a des affiliés à Saint-Pierre, qui obtiennent secrètement de quelques marins des navires cette cruelle marchandise. Les noirs, ceux de la Guadeloupe surtout, ont également la connaissance de plantes du pays dont ils savent extraire des poisons en poudre ou en liqueur, lents ou d’un effet spontané, et qui ne laisse presqu’aucune trace. Ils sont d’une habileté extraordinaire dans ces infernales préparations, dont les recettes se gardent on ne sait dans quelle antre terrible, sans qu’il ait jamais été possible d’en obtenir la révélation. À en juger d’après l’esprit superstitieux des esclaves, le diable doit entrer pour quelque chose dans l’impénétrabilité de ce mystère dont les plus effroyables tortures appliquées depuis deux siècles n’ont pu obtenir le secret, et que la liberté dévoilera, nous croyons, de sa propre volonté. — On connaît bien quelques-unes des substances employées : l’herbe commune appelée la Brinvilliers, la racine de pomme rose, etc. ; mais, ces connaissances sont très bornées, et il reste encore à faire une toxicologie de nos Antilles qui serait certainement fort intéressante pour la science.

On a tout essayé pour se défendre du poison. C’est dans le but de le prévenir que la déclaration du roi, du 1er février 1743, interdit aux esclaves, à peine de châtimens afflictifs ou même de mort, la composition ou la distribution de tous remèdes, et leur défend d’entreprendre aucune espèce de guérison, sauf celle des morsures de serpens. Peine de mort contre l’esclave qui fabriquerait, se procurerait ou garderait des substances vénéneuses[1], soustraction des accusés empoisonneurs aux formes ordinaires de la justice[2], institution de tribunaux spéciaux dont les jugemens étaient exécutoires immédiatement[3], rien n’a pu remédier au mal. Jamais aucun coupable, pris et avouant le crime, n’a avoué quoi que ce soit sur la puissance oc-

  1. Arrêté local de Saint-Domingue, 7 février 1738.
  2. Règlement du conseil souverain de la Martinique, 4 juillet 1799.
  3. Arrêté local de la Martinique, 27 octobre 1803.