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marier, une vieille femme se détacha des rangs et lui dit : « Qui moune est ça ous qua marié ? » Quelle est la personne que vous allez épouser ? — Une demoiselle Lacharrière. — « Ben, nous qua contens, c’est bon famille. » Bien, nous sommes contens, c’est une bonne famille. Et que l’on n’attribue pas ces attachemens de l’homme possédé pour l’homme possesseur à la stupidité des nègres. Les nègres ne sont pas stupides ; mais toute servitude rend l’esclave stupide. Aux yeux de la raison et de la morale les esclaves sont justifiés d’aimer leurs maîtres comme de les empoisonner par leur avilissement même.

Le plus ordinairement, les empoisonneurs ne sont pas isolés ; les esclaves, si l’on peut dire, n’empoisonnent pas pour leur compte particulier, tout le monde s’accorde à penser qu’il existe une organisation secrète et supérieure à laquelle vont se joindre les nègres mécontens des habitations. Cette association paraît exercer une puissance surnaturelle et frapper de terreur l’esprit des agens qu’elle emploie ; elle donne, elle impose des ordres auxquels on ne désobéit pas. Des maîtres parfaits ont eu le poison chez eux, et l’on a vu les meilleurs serviteurs, ceux en qui on avait mis confiance depuis nombre d’années, empoisonner des enfans qu’ils avaient élevés, qu’ils aimaient réellement, et l’avouer avec d’abondantes larmes en criant au désespoir : « Le diable m’a tenté, le diable m’a tenté ! » — Soit vanité de bons maîtres, soit conviction, les habitans disent que le mal ne vient pas généralement de leurs ateliers ; il admettent que leurs nègres cèdent à des insinuations du dehors, aux conseils d’hommes libres, qui par vengeance ou méchanceté viennent les exciter au mal. Hélas, les instigateurs auraient-ils prise sur les noirs, s’ils ne trouvaient des cœurs aigris pour les écouter et des esprits d’esclaves pour leur obéir ? Qu’arriverait-il au misérable qui viendrait conseiller le poison aux ouvriers de nos manufactures ou aux laboureurs de nos fermes, quoique cependant, à en croire les colons, le sort de ceux-ci soit bien plus triste que celui des nègres !

Le moyen d’empoisonnement le plus usuel à la Martinique