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de notre commerce n’ont pu les corriger, les adoucir ; ils empoisonneront toujours. Rien ne serait d’une immoralité plus odieuse que de persister sous prétexte de la nécessité de cultiver la canne à sucre ; que de persister dis-je à souiller notre société de la présence de ces hommes affreux. La loi ne peut permettre à celui qui tirerait un service quelconque des serpens à sonnettes, d’en entretenir chez soi au milieu de ses enfans et de ceux qui vont le visiter.

Quant à nous, jusqu’à ce que M. Villemain et les gens qui sont de son avis, nous aient fait savoir s’ils tirent ces inévitables conclusions de leurs prémices, nous penserons qu’ils ont mal vu, mal observé, nous ferons fort peu de cas de leur jugement, et nous continuerons à dire : Ce qui caractérise les pays à esclaves, c’est que le poison une fois connu s’y garde, s’y conserve et s’y entretient ; mais ce qui prouve qu’il ne procède pas du caractère africain, c’est qu’il a besoin d’être introduit par un accident quelconque pour s’y établir. — Là même où il règne, sa tyrannie a des limites, des circonscriptions ; il semble qu’il se lègue sur tel ou tel atelier, de génération en génération d’esclaves. Il y a quelques habitations qui n’en ont jamais eu, d’autres qui n’ont jamais pu l’extirper, cela quelquefois indépendamment de leur régime ; les meilleurs maîtres n’y peuvent échapper. M. Perrinelle, dont la riche administration est remarquablement douce et éclairée, perd chaque année, sans trouble, sans cause apparente, à l’état normal, de quinze à vingt bœufs. Nous avons vu un planteur réduit à trois bœufs et deux mulets. Parmi les témoins du procès Mahaudière, un vieillard de soixante-dix ans déclara qu’il avait perdu en sa vie, par le poison, deux cents bœufs, cent mulets et soixante nègres. Les planteurs, il est vrai, sont trop disposés à voir le maléfice partout où il y a mort de bestiaux ; selon les vétérinaires appelés à opérer quelques rares autopsies, ils n’accordent pas assez aux épizooties qui frappent des animaux en général fort mal soignés ; cependant il est impossible de se refuser à croire à une mortalité violente.