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créoles de nous accuser de conseiller le poison contre eux, parce que nous l’expliquons, qu’il serait absurde de la part des nègres, de nous accuser de conseiller les cruautés du maître, parce que nous avons dit qu’elles tiennent à son pouvoir discrétionnaire, et que ce pouvoir discrétionnaire est indispensable, tant qu’il y aura un maître. Dans des études pareilles à celles-ci, les principes doivent être dégagés des faits immédiats, la vérité est la loi souveraine, et le publiciste a pour devoir de la dire toute entière. Chaque coup de fouet, chaque trait d’iniquité, sont des provocations au poison qui se crient tous les jours d’un bout à l’autre des colonies ; des appels à la révolte autrement énergiques que toutes nos paroles. Les journaux censurés des îles, les écrits des prédicateurs de mensonges, beaucoup de discours des conseils coloniaux, et les brochures des créoles rétrogrades, pervertissent plus l’esprit des planteurs, en les attachant avec la frénésie du désespoir à une propriété illégitime, que nos vérités énoncées ne peuvent faire sur l’esprit des noirs qui ne savent pas lire. Croit-on que ces arguties furieuses en faveur des colons, ces démonstrations acharnées de la prétendue férocité africaine, qui retentissent pour la défense de l’esclavage, soient étrangères au redoublement de barbarie dont quelques maîtres se rendent coupables ? Nous expliquons les crimes des esclaves, en les déplorant ; nos adversaires expliquent ceux des maîtres, en leur prêtant une sanction légale ; où est le provocateur ? Nous ne pouvons souffrir que par le bouleversement le plus étrange des notions du juste, on rende l’opprimé responsable du mal commis en vue de la délivrance ; que l’on exècre les sombres vengeances du nègre en révolte, et que l’on n’ait aucune parole de blâme pour ceux qui le pendent lorsqu’il est vaincu. Est-ce à dire qu’il y a justice de pendre un esclave rebelle ? Mais il faudrait d’abord prouver qu’il est injuste à l’esclave de ne point consentir à l’être. Cette pitié pour les tyrans (volontaires ou involontaires), ce mépris pour les victimes, nous donnent assez mauvaise opinion de ceux qui les éprouvent. Si,