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efforts faits pour les empêcher. Elle supporte impatiemment un joug trop lourd, qu’elle cherchera à secouer par tous les moyens possibles, et elle aura recours au poison, dont déjà elle sait faire un si terrible usage. »

Pourquoi s’étonner de ces affreux effets de la servitude ? Nous en trouvons tous la raison d’être au fond de notre cœur, lorsque nous songeons à ce que nous ferions si l’on nous jetait dans les fers. C’est un habitant de la Martinique, habile et intrépide défenseur de l’esclavage, qui me disait : « Si les Algériens m’avaient fait esclave et qu’il m’eut fallu incendier l’Afrique pour sortir d’esclavage, j’aurais brûlé l’Afrique. » Bizarre aveuglement ! les créoles qui parlent ainsi ne se croient pas en contradiction avec eux-mêmes ; car ce qu’ils nous reprochent à nous, c’est de juger la servitude avec nos instincts d’hommes libres, de supposer qu’un esclave pense de la liberté ainsi que nous, comme si l’on ne devait plutôt leur faire reproche à eux-mêmes de supposer que leurs sentimens ne puissent entrer dans le cœur d’un Africain qui était chez lui père et maître, ou d’un nègre créole qui fait, depuis qu’il est au monde, comparaison entre la dépendance et l’indépendance.

Tous les maîtres cependant ne se montrent pas si peu justes. Il s’en rencontre parmi eux qui ont le courage d’avouer la terrible vérité. Il y a quatre ou cinq ans à peine qu’un de leurs enfans les plus distingués, dans un livre où l’on trouve du cœur et du talent[1], a confessé « la révolte comme le droit de l’esclave. » Et réellement l’esclave est réduit à un état si misérable, si abject, qu’il n’a d’autre moyen de résistance, d’autre représentation possible, que la violence à ciel ouvert ou l’empoisonnement dans l’ombre. — Parler ainsi, c’est faire l’apothéose du meurtre ; de l’incendie et du poison, disent les apôtres de la servitude, cela n’est pas plus vrai que de justifier le despotique arbitraire du maître par le fait de l’esclavage ; soit dresser l’apothéose de l’esclavage. Il serait aussi absurde de la part des

  1. Outre-Mer, par L. Maynard.