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Si les nègres danois veulent être libres, que sera-donc pour ceux de Puerto-Rico où l’esclavage semble daté du xviie siècle ? Dans tous les quartiers où ils ont chance de fuite par mer, entre autres du côté de Mayaguez et d’Aguadilla, ils cherchent à gagner la lointaine Saint-Domingue, qu’on leur a dit devant eux ; ils se lancent dans de petites chaloupes, presqu’au hasard, ils vont, ils vont, et rarement échappent à la mort sur cette grande mer dont ils ne savent pas lire les chemins tracés à la voûte céleste. Quelquefois après avoir erré plusieurs jours sur les flots, ils rencontrent terre, s’y précipitent joyeusement… Les courans les ont vaincus, la mer les a trompés, ils sont revenus à Puerto-Rico… Après le désespoir d’avoir échoué, ils sont châtiés jusqu’à la dernière rigueur en présence des ateliers réunis, et malgré l’apparat de ces violences qui épouvantent les faibles, il faut toujours recommencer les exécutions, car les tentatives de fuite recommencent toujours. Lors de notre séjour à Puerto-Rico (janvier 1841), un complot d’esclaves venait encore d’être découvert à Guanilla, qui consistait à s’emparer de deux petits navires : alors dans le port, et d’obliger les patrons à conduire les vainqueurs à Saint-Domingue. Plus de cent cinquante esclaves étaient compromis dans cette audacieuse entreprise, découverte et dénoncée par un homme de couleur libre. Dix ou quinze, sans doute, y laisseront leurs têtes, mais ils auront des successeurs qui un jour réussiront !

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les esclaves affrontent des dangers presqu’insurmontables pour reconquérir la liberté. Parny, dans sa lettre à Bertin, du 19 janvier 1775, dit en parlant des nègres de Bourbon :

« Leur patrie (Madagascar) est à deux cents lieux d’ici. Ils s’imaginent, cependant, entendre le chant des coqs, et reconnaître la fumée des pipes de leurs camarades. Ils s’échappent quelquefois au nombre de douze ou quinze, enlèvent une pirogue et s’abandonnent sur les flots. Ils y laissent presque toujours la vie, et c’est peu de chose lorsqu’on a perdu la liberté. »


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