Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.

priétaires n’y peuvent trouver de bras à aucun prix ! Ceux des colons qui savent la valeur de l’impossible et aiment mieux que les îles anglaises manquent de bras, disent que si les émigrés français veulent revenir, c’est que méprisés et maltraités par les nègres créoles, la vie devient pour eux insupportable. Erreur et inexactitude, nous le pouvons certifier pour la Dominique et Antigues. Les réfugiés français n’ont aucune difficulté avec les gens du pays, ils se fondent dans la masse presque sans être remarqués, ils ne sont l’objet d’aucune répulsion particulière, et dans ces îles où l’on se marie, beaucoup d’entre eux ont déjà épousé des femmes indigènes. Que le nom de passe par terre, qui leur est appliqué, soit devenu une sorte d’injure légère[1], cela est vrai ; mais il y va d’une autre injure et tout est dit, c’est ce que nous tenons de plusieurs réfugiés. Nous ne prétendons pas nier que huit ou dix d’entre eux ne soient retournés chez leurs anciens maîtres, et n’aient volontairement repris les chaînes de l’esclavage après les avoir brisées, mais c’est un fait complètement exceptionnel, facile à expliquer par le mal du pays, qui peut arriver chez le nègre à une puissance d’exaltation extraordinaire, par le regret d’avoir abandonné une femme aimée ou par quelques autres causes semblables ; et ces causes, en raison même de leur nature, doivent être fort rares.

  1. On interrogeait (à la Dominique, je crois,) un réfugié presqu’au moment de son débarquement. D’où venez-vous ? Comment êtes-vous arrivé ici ? Par quels moyens ? etc., etc. Les réponses étaient évasives ; mal sûr encore du terrain, il avait peur de se compromettre et ne convenait pas surtout qu’il eut pris un canot. Et parbleu ! ne voyez-vous point, dit quelqu’un, qu’il a passé par terre… Le mot resta, et les nègres l’appliquent aux réfugiés dans une acception un peu injurieuse ; car on a donné à ces pauvres esclaves des notions si étranges du juste et de l’injuste, que plusieurs regardent comme un crime de se sauver. Ils estiment que l’esclave marron ou fugitif, est un homme qui vole son corps à son maître. — Les nègres ne sont pas si stupides qu’ils n’aient compris même les plus bizarres idées qu’on a voulu leur inculquer.