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tour n’est il pas bon ? Dites donc encore après cela, que les nègres ne sont pas suffisamment préparés pour la liberté ! Voilà pourtant deux nègres, dont l’un au moins est un homme de merveilleuse ressource, qui seraient restés esclaves toute leur vie si l’Angleterre n’avait prononcé l’affranchissement ! Ne fût-ce que pour sauver des hommes comme ceux-là des horreurs de la servitude, il n’y aurait pas à regretter les 500 millions de francs qu’elle a donnés à l’abolition.

Nous ayons vu beaucoup de noirs, réfugiés à la Dominique et à Antigues, ils s’y conduisent bien. On en trouve quelques-uns sur les habitations, plusieurs ont formé de petits établissemens sur lesquels ils cultivent des vivres, mais nous ne voulons pas le cacher, ils se tiennent plus volontiers dans les villes où ils s’emploient comme canotiers, ouvriers, garçons de magasins et domestiques. Voici ce que MM. Sturge et Harvey, disent de ceux qu’ils ont rencontrés à Sainte-Lucie : « À notre retour nous remarquâmes les cottages et les jardins de quelques-uns des réfugiés de la Martinique. Un d’eux, a une petite plantation de cannes dont il fait du sucre, avec un petit moulin grossièrement construit. Il y a six cents réfugiés à Ste-Lucie, et tout le monde s’accorde à dire qu’ils contribuent à la prospérité de l’île. Ils ont introduit à Castries la fabrication des tuiles et des jarres porreuses, dont l’usage est si étendu dans les West-Indies[1]. »

Les créoles disent que leurs nègres évadés aux colonies anglaises, sont plus malheureux dans l’indépendance que sous le joug ; qu’ils voudraient revenir, et que s’ils ne le font pas, c’est qu’ils en sont empêchés par le gouvernement anglais. Singulier aveuglement que nous donnent nos préoccupations, étrange faiblesse de l’esprit qui nous fait toujours croire ce que nous souhaitons, en dépit de ce qu’y peuvent objecter le bon sens et la logique. D’un côté, les nègres émigrés voudraient revenir parce qu’ils meurent de faim faute d’ouvrage, et du côté opposé, les colonies anglaises sont perdues, parce que les pro-

  1. The West-Indies, in 1831, London.