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colonie, même d’une colonie esclave, je fermerais certainement les yeux sur de pareilles fautes. » Quand on vient écrire que la bonne harmonie de deux cours voulait qu’on rappelât à la vie, pour les rejeter en servitude, trois misérables déjà délivrés de leurs fers, et que ces trois pauvres hommes qui s’étaient exposés à la mort pour fuir l’esclavage fussent rendus à l’esclavage, il nous semble entendre parler de deux cours du temps des Babyloniens ou de nations Barbares, qui échangent amicalement le crime.

Ni la vigilance, ni les périls connus, ne peuvent arrêter les esclaves ; les insatiables désirs de liberté qui sont en l’homme, leur font tout affronter, et leur suggèrent des inventions admirables pour atteindre leur but. On nous a raconté en ce genre un trait si original, qu’il mérite d’être conservé, il nous vient de la bouche même d’un habitant.

Cinq nègres de la Guadeloupe forment un projet d’évasion du côté de la pointe d’Antigues, deux d’entre eux manquent l’heure du rendez-vous, et voient en arrivant leurs trois complices qui, par crainte d’une trahison, sont déjà en mer. Aussitôt de courir chez M. X leur maître, « Maître voyez, trois nègres s’échappent. » M. X donne un coup de rhum aux fidèles dénonciateurs, se jette avec eux dans une chaloupe et force de rames sur les évadés ; mais, quelqu’effort que fassent les deux rameurs, ils ne peuvent toujours que tenir en vue la barque fugitive. « Maître, ils sont trois contre deux. » M. X ôte sa veste blanche, il se met à ramer aussi. Enfin on arrive à Antigues, les trois nègres abordent les premiers, M. X touche à son tour, mais alors ses deux hommes : « Bon maître, nous ne savions comment faire pour rejoindre la pirogue que nous avions manquée, vous nous avez amenés vous même, merci ! » et ils s’enfuient. M. X fit des démarches, demanda l’extradition, et bien entendu ne put rien obtenir. Le lendemain, il fut piteusement obligé de louer du monde, afin de retourner à la Guadeloupe !

Pour des intermédiaires entre l’homme et la brute, le