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d’avoir échoué dans la conquête de leurs droits. Des habitans cruels ont eu l’infernale idée de battre et maltraiter les enfans du nègre échappé, pour l’obliger à revenir. Cet affreux expédient n’a pas mieux réussi et ne pouvait pas mieux réussir que le reste. Le marronnage comme le poison est une plaie congénitale de la servitude, pour laquelle il n’y a de remède que dans l’émancipation.

Au-dessus des observations que nous venons de faire, et en accordant aux caractères tranchés ce qu’il faut toujours leur accorder, il est permis d’avancer en général qu’il n’y a de nègres marrons que chez les planteurs mauvais ou incapables. L’excès de la faiblesse comme l’excès de la sévérité amènent les fuites d’esclaves ; on connaît des habitations sur lesquelles on n’en vit jamais. C’est un habitant, M. Alphonse Bouvier, qui a dit : « Le marronnage est l’échelle à laquelle on peut mesurer l’administration douce, inintelligente, sévère ou cruelle d’une propriété. » Nous ne pouvons rien ajouter à cela.

Il est une autre sorte de marronnage auquel l’affranchissement des colonies anglaises vient de donner lieu. C’est la désertion à l’étranger[1]. À peine les esclaves ont-ils su qu’ils ne seraient plus esclaves, s’ils parvenaient à toucher la terre voisine, qu’ils ont avidement saisi tous les moyens d’y fuir, et les évasions aux îles émancipées se répètent chaque jour. Malgré la confiance que l’on feint d’avoir maintenant à cet égard, l’impuissance de la répression est douloureusement proclamée par les créoles eux-mêmes, on fatigue en vain la troupe de ligne « en l’associant à la surveillance des côtes confiée aux milices et à la gendarmerie. » Les postes multipliés du littoral ne suffisent pas, le gouverneur de la Guadeloupe est obligé de « de-

  1. Il en existait quelques exemples autrefois, mais ils étaient fort rares et punis avec une rigueur inouïe, s’il faut en juger par un arrêt du Conseil supérieur, du 30 novembre 1815, confirmatif de la sentence des premiers juges, qui condamne le mulâtre Élisé, esclave de Farque, à être pendu pour s’être évadé de la colonie. Dans la Gazette de la Martinique qui enregistre le jugement le 15 décembre 1815, il est dit : Exécuté a été l’arrêt le 4 décembre.