Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de leur goût pour les garder. Un planteur de la Guadeloupe, grand amateur de chasse et de bois, nous disait un jour : « Le nègre qui m’accompagnait dans mes courses vient de mourir ; il faut absolument que j’achète quelqu’enragé marron. » Une habitation au point de vue physiologique, offrirait des études curieuses. Pourquoi les romanciers ne vont-ils pas aux colonies, ils y trouveraient mille types tout à fait originaux.

Il est une troisième sorte de marron, c’est celui auquel les rigueurs de l’esclavage sont trop lourdes, qui n’a pas la force de les endurer, et qui, d’un autre côté, n’est pas doué de l’énergie nécessaire pour savoir prendre une résolution et s’exiler tout à fait. Ce malheureux est véritablement à plaindre ; il s’enfuit parce qu’il souffre, parce qu’il n’a pas assez de désespoir pour se suicider ; mais il n’a rien prévu, il se traîne sur la lisière des chemins, le long des plantations, afin d’y voler quelque chose à manger ; il dort et se cache dans les broussailles, dans les cannes, en proie aux angoisses de la peur : il erre de côté et d’autre, toujours près des lieux habités, il végète, et souvent repris il expie toujours par de cruels châtimens les quelques instans de douloureuse liberté dont il n’a pas su jouir.

Il est de ces pauvres gens qui ne comprennent pas eux-mêmes leurs désirs de fuite. Ils s’en trouvent fort coupables ; ils voudraient être de bons esclaves bien réglés, bien assidus à l’ouvrage : ils s’accusent avec sincérité de ne pouvoir résister ; il ne se rendent pas compte des victoires que l’instinct remporte sur leurs volontés ; ils croient qu’on leur a jeté un sort, et avec l’incomplète éducation chrétienne qu’ils reçoivent, ils viennent demander naïvement au maître de faire dire des messes sur leur tête pour chasser l’esprit du mal, pour les empêcher d’être marrons. Les créoles, qui ne sont guères moins superstitieux que leurs nègres, ne manquent jamais de leur accorder une telle grâce ; et ce que l’on aura peut-être peine à croire, les curés se montrent assez ineptes ou assez fripons pour prêter leur ministère à des conjurations auxquels eux seuls gagnent quelque chose. Le résultat de ces messes, en effet est facile à