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et faute de pouvoir les anéantir en masse, il a fallu se décider à les laisser jusqu’à ce que s’élève parmi eux un homme de génie qui, les faisant passer à l’état d’agresseurs, provoquerait une lutte générale et décisive. L’affranchissement, nous l’espérons avec confiance, préviendra ces sanglantes conséquences du fait esclave.

Il y a, l’on peut dire, trois sortes de marrons : leur caractère est fort distinct. Le premier est l’homme énergique, aux passions ardentes, à l’esprit résolu qui n’a pu se plier à la discipline de l’atelier, qui n’a pu supporter l’anéantissement de toutes facultés volitives, l’abnégation à laquelle un esclave est condamné. Celui-là s’enfuit pour toujours, son maître peut le regarder comme perdu. Il médite long-temps le projet, combine son départ, assure ses moyens de salut, se jette dans les bois, et sait à des marques amies, trouver la route d’un de ces camps dont nous parlions tout-à-l’heure.

L’autre marron est l’esclave qui s’échappe pour un sujet quelconque, la crainte d’une punition, un moment de lassitude, un vague besoin de liberté ; et qui, la cause cessant, revient de lui-même à la grand case au bout d’un certain temps : huit jours, quinze jours, un mois, deux mois. Il se nourrit de ce qu’il pille et des provisions qu’il reçoit la nuit des autres esclaves, car il conserve toujours ses relations. Lorsqu’il veut se rendre, il va assez généralement, pour éviter la punition méritée, chez un ami du maître qui le ramène ou le renvoie même avec un simple billet, demandant pour lui un pardon que les usages des planteurs entre eux défendent de refuser jamais. Les hommes de cette nature constituent une propriété difficile, mais pas essentiellement mauvaise. Ce sont des animaux d’ailleurs bien apprivoisés, qui ont des caprices. Il y a, par exemple, des nègres qui ne manquent jamais de s’en aller marrons sitôt que le propriétaire s’absente et met un géreur à sa place, puis qui reparaissent dès que le propriétaire reparaît. Ils sont actifs, intelligens, bons travailleurs, lorsqu’ils s’y mettent, et il suffit de les gouverner avec adresse, de savoir leur procurer un emploi