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une vie de sauvages avec femmes et enfans. Échappés des cases à nègres, ils n’ont apporté là que les impressions de leur étroit passé ; ils se contentent de vivre, et bornent leur existence à chasser, pêcher quand ils peuvent, cultiver quelques racines, et veiller à leur sûreté. On ne saurait, en bonne justice, demander beaucoup plus à ces pauvres anciens esclaves, séquestrés du monde entier, inquiets, privés de tout, et n’ayant de la civilisation que ce qu’ils lui peuvent voler dans leurs excursions nocturnes. Tout fondement de quelque chose de régulier est impossible pour eux, car on les poursuit de temps à autre, et le

    commandée par le nègre Toussaint, se trouvait cantonnée dans la montagne noire, dépendante de mon quartier. Plusieurs de mes nègres s’y étaient retirés. Quoique très-jeune, j’obtins, comme officier de M. de Raynaud, un ordre de chasse contre cette bande.

    « Elle était composée de près de cent nègres. Je pris avec moi soixante mulâtres déterminés, et je me portai au lieu de leur retraite, que j’avais su découvrir. Ils firent une vigoureuse résistance ; mais leur chef ayant été tué, ainsi que ses principaux soutiens, une grande partie blessés, le reste voyant fondre sur eux les intrépides mulâtres le sabre à la main, prirent la fuite ; on en prit quatorze à la course, et neuf qui étaient restés sur le champ de bataille, avec le chef et six autres tués ; sept mulâtres furent blessés, mais aucun ne périt.

    « Le bruit courut au cap que j’avais tué deux cents nègres et pris plus de cent.

    « Ce succès dissipa entièrement cette bande, et fit rentrer tous les marrons chez leurs maîtres. Mais les autres bandes n’en continuèrent pas moins leurs ravages dans les autres quartiers, jusqu’en 1774.

    « Il s’en forma trois bandes considérables dans les quartiers du Dauphin, des Écrevisses et de Vaslière, qui portèrent l’audace au point de faire justement craindre une révolte ouverte et générale. Le gouvernement recourut à son moyen banal de mettre la tête des chefs à prix : il réussit à l’égard de la bande commandée par Noël Barochen, qui avait osé camper au bord des habitations ; il fut trahi par un des siens, et tué par un ancien soldat aposté à cet effet.

    « La bande se rejeta dans celles de Bœuf et surtout de Tang qui grossissaient chaque jour, et qui passaient déjà pour avoir plus de quinze cents nègres. Ces deux bandes devinrent plus acharnées depuis la mort de Noël, et exercèrent publiquement des actes de violence à main ar-