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jour de l’indépendance. La liberté n’a point de marrons.

Chez nous, au contraire, comme à la Havane, il existe toujours un noyau de ces hommes perdus pour la société, que tous les moyens dont les créoles et l’autorité ensemble disposent, ne peuvent détruire. Encore aujourd’hui on fait monter pour la Guadeloupe à quinze cents et pour la Martinique à deux milles le nombre des esclaves que l’on sait dans les grands bois. Séparés en petits camps de quatre-vingt, cent, cent-cinquante, rarement plus de deux cents, établis sur la crête de pics inaccessibles, ils mènent, sous un chef plus ou moins despote,

    leur offraient des ressources assurées. Il en partit un grand nombre dans la partie de l’ouest et du sud, qui infestèrent bientôt les montagnes des grands bois et de Neyba, d’où ils ravageaient également les habitations françaises, et Les hattes espagnoles. Les deux gouvernemens se concertèrent et firent bientôt marcher des troupes de ligne et de milice contre ces brigands ; mais elles ne purent jamais les découvrir, incapables même de pénétrer sur ces montagnes trop escarpées et trop éloignées pour pouvoir y porter des munitions de bouche et de guerre, et où on marchait des jours entiers sans trouver une goutte d’eau pour se désaltérer. Les détachemens espagnols, à qui il faut moins de provisions, arrivèrent jusqu’au pied de Neyba ; mais des rochers préparés et suspendus furent lancés sur eux, et tuèrent on blessèrent un grand nombre d’hommes. On renonça des deux côtés à des poursuites démontrées inutiles et l’on traita avec ces nègres, qui, s’étant déclarés libres, sont tributaires de l’État, sons condition de ne plus souffrir de nouveaux marrons parmi eux. Cette clause du traité exactement observée, força les nouveaux marrons à se jeter dans les montagnes du Port de Paix, du Borgne, de Plaisance, du gros Morne, du Dondon, de la grande Rivière, de Vaslière, de Limonade et du Dauphin, d’où ils se réunissaient par détachemens avec d’autres retirés dans les montagnes espagnoles de Laxavon, pour aller chasser les bêtes dans les hattes, pour venir échanger la viande avec les nègres des habitations, contre des vivres du pays et contre du plomb et de la poudre.

    « Les choses en étaient à ce point, lorsque sous le premier intérim de M. Raynaud, les bandes des nègres marrons, devenues considérables, osèrent enlever ouvertement des vivres dans les habitations des frontières. Les milices ne cessaient de faire des détachemens contre les marrons, mais toujours sans succès. Une des principales bandes,