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de diverses espèces, tantôt liées au-dessus de la cheville et retenues à la ceinture comme celles des forçats, tantôt attachées aux deux pieds, de façon à rendre toute course impossible. — Enfin on se sert du carcan, collier sur lequel sont quelquefois rivées pour les hommes dangereux, deux grandes branches ramifiées en forme de cornes de cerf, qui s’élèvent de chaque côté au-dessus de la tête, pour empêcher celui qui les porte d’entrer dans les bois.

Après ce lugubre énuméré, c’est notre devoir d’ajouter que pas une seule fois nous n’avons vu ce carcan à branches en application, et rarement les chaînes, quoique nos excursions à travers les campagnes des deux îles aient été nombreuses. Nous ne pouvons oublier toutefois une femme, le col enveloppé d’un épais et large collier auquel étaient attachés trois énormes anneaux sans autre destination, je pense, que d’augmenter la gêne par leur ballottement ! Elle n’en paraissait pas trop souffrir, et remplissait sa tâche au milieu des rangs[1]. Oh ! la servitude ! la servitude !

Toute peine infligée à un coupable inspire de la tristesse ; on ne visite jamais les prisons sans avoir le cœur serré, mais ce bruit de gros fers, ce carcan au col d’une femme particulièrement, firent naître en nous des sensations bien plus pénibles que la tristesse. Il faut persister à croire que la science économique trouvera des procédés moins hideux pour réprimer les mauvais.

Le crime de cette femme était grand : elle avait attaqué en elle-même la propriété de son maître, elle était coupable de ne pas vouloir rester esclave, d’être une incorrigible marronne. On venait de la reprendre pour la troisième fois.

On appelle marron l’esclave qui s’enfuit. Aucun auteur, à notre connaissance du moins, n’a donné l’origine, ni l’éty-

  1. On appelle rang une série de laboureurs travaillant ensemble. L’atelier au jardin est divisé en deux, trois ou quatre rangs de douze ou quinze individus.