Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relever eux-mêmes de leur déchéance en leur infligeant pour leurs fautes des châtimens qui ne dégradent pas[1], il s’agit de leur apprendre que l’homme ne doit pas être assimilé à un animal, et qu’il est respectable par la raison qu’il est homme. — L’éducation morale des nègres est à faire comme celles des blancs ; les esclaves, il faut bien l’avouer, ne sentent point l’ignominie du fouet ; élevés sous la rigoise ils l’adoptent comme une aide naturelle de homme libre contre l’homme esclave, comme la conséquence nécessaire d’une position faite, comme un droit que dans leur ignorance ils supposent légitime, comme un agent régulier enfin de tout supérieur vis-à-vis de son inférieur. À peine ont-ils échappés à la servitude qu’ils veulent battre les esclaves à leur tour, et l’on en voit fréquemment venir demander à la justice de paix le châtiment d’un ancien compagnon d’infortune qui a manqué aux prérogatives du nouveau libre.

Ces habitudes de violence ont passé jusque dans la famille des esclaves, les enfans y subissent des corrections de toutes mains, et par suite leur naturel s’endurcit de génération en génération. — Nés pour être hommes, la servitude en fait des brutes, et quand ils en sont là, nous, avec la sécheresse et l’orgueil que donne la civilisation, nous les déclarons indignes d’être appelés à faire partie de humanité ! — Les esclaves ne mettent point de limites au droit paternel de flagellation, et il n’est pas rare qu’une

    ne sont pas les seuls cas de suicide qui soient arrivés pendant ces neuf mois. »

    L’écrivain ajoute en terminant :

    « Après avoir été témoin de l’avilissement et des souffrances de nos frères noirs dans nos colonies, je me croirais coupable de sacrilège envers Dieu et d’inhumanité envers mes semblables, si je ne protestais pas, de toute l’énergie de mon indignation, comme chrétien, comme prêtre, comme homme, comme Français, contre le maintien d’un régime qui dégrade à la fois le maître et l’esclave. »

  1. « Nos agens ont été frappés des changemens que la mise en cellule a exercé sur le caractère des plus indomptables. Nos colons eux-mêmes se sont expliqués à ce sujet d’une manière formelle. Pour nous, disent-ils, nous préférerions les coups, mais la cellule nous vaut mieux. »
    (Rapport des directeurs de la colonie agricole de Mettray, 1841.)