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esclaves, a voulu se soustraire au dégoût personnel que ce moyen lui inspire. Pour cela, il a établi un jury composé des meilleurs sujets de l’habitation qui décide des châtimens à infliger ; toute faute est déférée à ce tribunal sans que le maître intervienne jamais, et M. Meat se loue extrêmement de cette institution. Elle a diminué le nombre des châtimens en diminuant celui des coupables. M. Meat a remarqué que les arrêts du jury esclave étaient d’une équité extraordinaire, et nous avons eu lieu d’être frappé nous-même, en causant avec quelques-uns des hommes récemment punis, de la droiture naturelle propre au caractère nègre ; tous convenaient naïvement qu’ils avaient mérité la peine. À Brest, il n’est pas un forçat qui ne dise avoir été condamné injustement, et ne présente mille causes d’excuse pour sa conduite.

La majorité des colons, nous avons regret de le dire, non-seulement ne partage pas les répugnances de M. Meat, mais ils conçoivent de la haine pour ceux qui les manifestent ; ils veulent le maintien du fouet, et défendent leur rigoise avec le même aveugle fanatisme qu’ils défendent l’esclavage ; ils sont tellement corrompus par l’atmosphère de servitude où ils respirent, qu’ils croient à la vertu de la force, à la morale du knout et à l’efficacité de la contrainte pour diriger les hommes. Ils ont poussé de pareils principes à l’état de théorie, nous en avons entendu nous dire que s’ils n’avaient pas été châtiés corporellement durant leur jeunesse, ils seraient devenus des scélérats ; que leurs mauvais penchans n’avaient cédé qu’à la terreur des coups ; et plusieurs d’entre eux jugent nécessaire et se croient encore permis de battre leurs enfans pour réprimer les fautes ou modifier le caractère de ces petits êtres délicats et impressionnables ! En étayant leur cause de moyens aussi outrageans pour la raison et l’humanité, ils ne rendent que plus sensible l’impossibilité où ils sont d’en trouver de meilleurs. Ils ont contre la réforme toutes sortes d’objections étranges, ils rapportent, par exemple, que des nègres offrent de recevoir vingt-neuf coups de fouet pour