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constater l’état d’une négresse et de sa fille, qui toutes deux avaient porté plainte en châtiment excessif. Il y était dit : « La femme a reçu quinze à vingt coups de fouet qui ont opéré sur la partie gauche une solution de continuité de deux lignes de profondeur et de trois pouces de longueur. » Cette femme était déclarée ensuite hors d’état d’être transportée. Pour la jeune fille, on ajoutait simplement : « Elle a reçu douze à quinze coups de rigoise, qui sont en bonne voie de guérison ! » Dans l’affaire Brafin, dont nous avons parlé plus haut, deux médecins au rapport constatèrent sur la femme Marie-Josèphe, le docteur Frasque, « Seize ou dix-sept contusions avec excoriation ; » le docteur Regnier, « une vingtaine de plaies en partie cicatrisées, en partie en suppuration. » Sur Jean-Louis, le docteur Regnier constata « dix-huit à vingt excoriations, déjà en partie cicatrisées. » Le fouet avait lacéré et emporté la peau. Et cependant Brafin, dans l’un et l’autre cas n’avait pas excédé le nombre légal. Comme on l’a vu, c’est un homme sans cruauté, il n’avait frappé que vingt à vingt-quatre coups, quoique la loi lui permit d’en frapper vingt-neuf. Il s’était arrêté quand il avait cru avoir fait assez de mal, la loi lui permettait d’en faire davantage !

Le fouet est-il nécessaire ? Les créoles tombent dans de singuliers embarras sur cette question qui, grâce au ciel du reste, ne peut plus être admise qu’aux colonies. Presque tous s’accordent à répondre que sans le fouet ils ne pourraient obtenir de travail de leurs esclaves ; puis en même temps ils se moquent de notre sensibilité, et affirment que le fouet n’est pas ou est peu douloureux. Si cela est vrai, pourquoi donc y tiennent-ils ? Si la moitié au moins de leurs ateliers, selon leur propre parole n’a jamais été taillée, pourquoi donc représentent-ils la rigoise comme une force morale avec laquelle seule ils peuvent conduire leurs nègres ? N’est-ce pas une barbare contradiction que d’exalter la douceur du régime imposé aux esclaves, et de soutenir qu’on n’en peut rien tirer que par la violence ?

C’est aux colonies même, cependant, et parmi les créoles propriétaires que nous trouverons les meilleurs argumens contre