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fans qui pleurent et poussent des cris à briser Le cœur. — L’esclavage rend les femmes cruelles, vous voyez bien qu’il faut détruire l’esclavage. — Mme Letellier, dans ses Esquisses de mœurs coloniales, l’a dit avec la finesse propre à son sexe. « Il y a dans les rapports des créoles avec leurs esclaves une barbarie qui s’ignore elle-même et qui, si l’on peut profaner cette expression, à quelque chose de candide. » Pauvres enfans, ceux des noirs sont battus, ceux des blancs s’accoutument à battre ! « La manière dont on nous élève nous habitue à ne pas distinguer nos esclaves de nos chevaux. C’est une grande pitié de voir des marmots frapper de misérables domestiques dont ils connaissent déjà la dépendance, et se préparer par cette violence prématurée à la tyrannie d’un autre âge[1]. »

Les châtimens corporels furent autorisés dès les premiers temps de l’esclavage. À une époque où ils entraient dans l’éducation publique et particulière, ils ne pouvaient manquer d’être regardés comme indispensables au maintien de l’autorité du planteur, et l’on devait naturellement croire qu’un homme esclave ne donnerait point son travail et sa peine sans y être forcé par des moyens coercitifs. La toute-puissance du maître resta long-temps illimitée à cet égard, et plus d’une fois devint meurtrière. Ce ne fut qu’en 1783, qu’une ordonnance locale du 25 décembre, confirmée depuis par l’ordonnance réglementaire de Louis XVI, 15 octobre 1786, fixa à vingt-neuf le nombre de coups de fouet, que l’on ne peut dépasser dans une flagellation. L’idée est généreuse, mais la limite reste encore trop étendue, le mot d’un négrophile anglais contre l’esclavage s’applique très-bien ici : On ne peut pas plus régler humainement le fouet que l’assassinat. La force du bourreau répond à humanité du maître ; s’il le désire, vingt-neuf coups de fouet ne produiront aucun effet ; mais celui qui le voudra peut, avec quinze seulement, mettre l’homme le plus vigoureux sur le grabat pendant six mois, Nous avons lu au Moule (Guadeloupe), un procès-verbal de médecin appelé pour

  1. Léonard, déjà cité.