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penser que ce flétrissant supplice est infligé chaque jour à ces pauvres créatures, dont les propriétaires d’esclaves oublient la faiblesse et profanent la pudeur. Les propriétaires vont se récrier ; il n’importe. Nous serons toujours des premiers à nous défendre des rapports exagérés contre leur cruauté, mais nous voulons aussi nous tenir dans le vrai ; quelque mal sonnant qu’il soit aux oreilles des fustigateurs de s’entendre reprocher leur barbarie, ils doivent subir ce supplice fort doux, en comparaison de ceux qu’ils infligent à leurs esclaves. Nous disons leur barbarie, car fouetter, c’est commettre un acte barbare.

La flagellation peut être ordonnée par l’économe, le géreur et le maître ; au jardin, le commandeur a droit aussi de tailler. Le nombre des coups est proportionné à la faute ; mais dans aucun cas, aux termes de la loi, du moins, on ne doit dépasser celui de vingt-neuf ; telle est la jurisprudence de la Guadeloupe et de la Martinique. Les tribunaux de la Guyane n’ont pas voulu l’admettre ; ils professent que le maître a le droit de donner à son esclave autant de coups de fouet qu’il lui convient, et la métropole les laisse faire. « Considérant, dit un arrêt de la Cour royale de Cayenne, en date du 29 novembre 1840, considérant que le règlement local de 1777 et les ordonnances coloniales de 1825 et 1826, qui limitent le nombre de coups de fouet à vingt-cinq, sont relatifs à la police municipale, et ne s’appliquent pas à la police des habitations ; que dès lors, quelque soit le nombre des coups appliqués, l’appréciation de la légalité du châtiment appartient à l’arbitraire du magistrat, etc. » Avec ces considérant le prévenu impliqué dans la cause fut blâmé, mais non puni comme ayant agi dans le plein exercice de ses droits. Il s’agissait d’une femme de soixante-six ans, mère de onze enfans, qui avait reçu successivement cinq coups de fouet pour manque à l’appel, neuf pour injure envers le géreur, et vingt-neuf pour menace envers ce même géreur !

Lorsqu’on juge l’esclavage d’une certaine élévation, on prend au moins autant de pitié que d’horreur pour les auteurs de