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libres trop pauvres pour se soigner. « Oh ! répondit-il, l’état n’a pas besoin de s’occuper d’eux ; dès qu’un homme de cette classe est malade, ses parens les plus éloignés accourent, se relaient pour le veiller, et trouvent moyen de lui procurer des médicamens. » — Parmi les nègres, on le voit, les liens de famille, tout illégitimes qu’ils puissent être selon le Code, sont légitimés et sanctionnés par la moralité naturelle de leur cœur. Les affections paternelles et filiales restent vivaces, quoiqu’elles ne soient pas fortifiées par l’idée d’une obligation réciproque. Que les amis des noirs aient pleine confiance au régime libre, les mœurs se régulariseront d’elles-mêmes et par la force des choses, comme il arrive déjà dans les colonies anglaises, ou les nègres se marient tous à l’envi. Il ne sera pas plus difficile chez nous qu’il ne l’a été chez nos voisins, de faire comprendre aux femmes noires que la promiscuité leur est dangereuse en cela surtout qu’elle rend la paternité incertaine. Entourées d’enfans, aux besoins desquels elles devront pourvoir, il sera facile de leur montrer, ainsi que l’a dit M. Dreveton, aujourd’hui juge-de-paix à la Pointe-à-Pitre[1], « combien il leur importe de s’attacher par des liens durables le père de leurs fils et de leurs filles, pour qu’il partage les charges de l’éducation. »

Ce sont des faits authentiques, à la connaissance des créoles, signalés par eux-mêmes, que nous avons cités, mais leurs défenseurs n’en répèteront pas moins que cette race est antipathique à l’esprit de famille, et incapable de concevoir le mariage ! Les créoles sont bien mal défendus !

Après tout, ce mariage indissoluble qui a causé depuis des siècles tant de douleurs, de désordres, de trahisons et de crimes, nous avons besoin de dire que nous sommes loin de le regarder comme la dernière formule des rapports de l’homme et de la femme, comme le nec plus ultra de la constitution sociale à venir, notre pensée est au contraire que la raison le réprou-

  1. Mémoire manuscrit sur l’abolition. L’auteur ne serait pas un homme fort spirituel, qu’un séjour de vingt années aux colonies suffirait à donner du poids à son opinion.