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que la piété filiale citée par tous les voyageurs comme une qualité distinctive des Africains, ne s’est pas perdue dans la servitude. « Souvent, nous a-t-il dit, un nègre en mourant laisse à son fils des dettes à acquitter, et jamais le legs ne demeure en souffrance. » La dernière volonté du mort, que ne sanctionne ni testament ni notaire, est exécutée comme le serait celle d’un Dieu ; la parole est toute la loi, et quoique la parenté soit généralement fort étendue, les contestations entre héritiers sont tellement rares qu’il serait exact de dire qu’il n’y en a jamais. Les maîtres sont d’accord sur ce point. L’amour filial, dont nous parlons, va quelquefois jusqu’aux plus sublimes sacrifices. Lors des premières évasions qui suivirent l’affranchissement des îles anglaises, quatorze individus de la même famille, appartenant à l’habitation Caritan (de Sainte-Anne, Guadeloupe), résolurent d’aller chercher la liberté. Savez-vous ce qui compromit la fuite presqu’assurée de ces quatorze personnes ensemble ? C’est qu’elles emportaient leur aïeule attachée sur sa chaise ; une paralytique de quatre-vingt sept ans ! À ce propos, nous ne craignons pas d’ajouter que les nègres ont bien plus de considération pour la vieillesse que les blancs. Cinq ou six fois, dans le cours de notre voyage, nous avons vu des nègres rencontrant une vieille femme dans la rue, s’arrêter respectueusement, lui parler d’un air bon et soumis, avec les manières câlines qu’ils savent avoir, et baiser en forme d’hommage la main ridée qu’ils pressaient dans les leurs. La bonne vieille négresse recevait ces marques de vénération fort simplement, d’une façon presque digne et comme chose qui lui était due. Un peintre ferait avec ce que l’on voit aux îles, en ce genre, un beau tableau d’expression.

Dans toutes les colonies, chose bizarre, à quelque nation qu’elles appartiennent, on n’admet point que les gens libres puissent jamais avoir besoin de la charité publique, et les hospices ne sont ouverts qu’aux soldats et aux marins. Nous demandions à M. Lemaire, entrepreneur directeur des deux superbes hôpitaux-de la Martinique, qu’est-ce que devenaient les