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tre donne la servitude avec l’existence, est-ce la peine de naître, pour vivre dans l’esclavage ? Le fait est que sur deux plantations voisines, de nombre égal, gérées uniformément et dont les femmes en couche sont traitées de même manière, il arrive que l’une a beaucoup d’enfans, et l’autre presque pas. Cet affreux état de l’esclavage est tellement anormal, que plusieurs de ses effets restent encore impénétrables, même pour l’observateur le plus sagace et le plus attentif.

En résumé, il ne faudrait pas conclure de ce que l’on vient de lire, que les nègres des colonies vivent dans une promiscuité absolue, sans lois, ni ordre. Ils n’ont pas le mariage comme leurs maîtres, mais ils ont des liaisons ou se retrouve la fixité des relations conjugales. « Leur concubinage est un lien puissant, auquel viennent le plus souvent se rattacher les obligations du mariage[1]. »

Même dans l’état bestial auquel ils sont condamnés, le sentiment de la famille s’est développé chez eux à un très haut degré. Ils conservent sur leurs enfans toute l’autorité compatible avec la servitude, ils honorent profondément leur père, leur mère ; surtout leurs parrain et marraine. Cette seconde paternité a beaucoup plus de force chez eux que chez nous, et constitue de véritables obligations. On voit souvent une mère remettre un enfant à sa marraine, parce que l’influence de celle-ci paraît plus capable de dompter le petit rebelle. Une femme est condamnée au fouet, on appelle le commandeur qui, en l’apercevant, se trouble et change de visage. « Qu’as-tu dit le maître ? » — « Je ne puis la frapper, c’est ma marraine. »

Les colons d’un esprit distingué ne s’abandonnent pas aux petites passions qui troublent le cerveau des autres, et ne dénient point au nègre ses qualités morales, celles même qui, par leur élévation, attestent plus directement la cruauté de l’esclavage ; ainsi nous tenons de M. Levassor Delatouche,

  1. Rapport d’une commission du conseil de li Martinique. Séance du 1er octobre 1838.