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le poulain et le veau qui n’ont plus besoin du lait maternel ?

Une autre raison, qui s’oppose à la possibilité du mariage pour eux, c’est la presqu’impossibilité où est l’esclave d’une habitation, d’épouser tel ou tel esclave d’une autre habitation, car ils demeureraient alors toujours séparés. En effet, non seulement ils ne pourraient se réunir à leur gré, mais encore le maître ayant droit de vendre son esclave, cette vente pouvant avoir lieu sans sa volonté, par suite de saisie ou de décès, le mari ou la femme seraient toujours exposés à être envoyés à cent milles l’un de l’autre. Les embarras dont nous parlons renaîtraient sans cesse de l’habitude qu’ont la plupart des nègres d’aller chercher leurs fréquentations hors de l’atelier auquel ils appartiennent[1].

Les lois espagnoles qui prévoient tout, ont décrété que « si un esclave d’une habitation veut se marier avec une femme d’une autre habitation, le maître du mari doit acheter la femme, et le maître de la femme est obligé de la vendre, le prix étant fixé à l’amiable ou par arbitre[2]. » Malheureusement les lois espagnoles, en faveur des esclaves, ne sont que des mots. Il n’y a point de nation qui traite mieux ses nègres législativement ; il n’y a que les Américains chez lesquels les nègres soient plus maltraités en fait. Il serait peut être impossible de trouver quarante mariages dans la population esclave de Puerto-Rico. Chez nous, du moins, plusieurs maîtres excités par des sentimens de bienveillance où de pitié, sont arrivés à force de soins et de récompenses à faire légitimer quelques unions libres. Nous avons trouvé vingt-deux ménages réguliers

  1. Il y courent le soir à la nuit tombante. L’amour du nègre ne redoute ni la fatigue, ni l’obscurité, et l’on en sait qui sans que cela dérange leur travail font, chaque nuit, trois, quatre, jusqu’à cinq et six lieues, pour aller voir leurs concubines. Il faut tout dire, il leur arrive quelquefois, afin de rendre la course plus facile, de prendre les chevaux de l’écurie du maître qui, le lendemain quand il sort, devine bien pourquoi sa monture est fatiguée.
  2. Règlement de don Miguel de la Torre, 12 août 1826. Puerto-Rico.