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les nègres, ne tient pas seulement aux raisons prépondérantes que nous venons d’exposer, il en est beaucoup d’entre eux qui refusent le mariage, bien qu’ils en connaissent la valeur. Pourquoi nous le refusons, disent-ils ? parce que nous ne voulons pas voir notre femme, pour une faute légère, pour un caprice du géreur, du maître, d’un grossier économe, livrée aux mains du commandeur, et taillée nue, en présence de tout l’atelier ; parce que nous n’aurions aucun droit de faire respecter sa pudeur, aucun moyen de nous opposer sans danger à l’agression des hommes blancs ; parce qu’on nous enlèverait nos enfans pour les vendre. J’atteste avoir entendu des nègres parler ainsi.

Les blancs ont pu avilir les nègres, et leur donner des vices, mais il n’ont pu leur enlever à tous l’intelligence et le sentiment que la nature leur accorde, comme aux autres hommes. Les noirs éprouvent la faim, comme nous ; ils éprouvent aussi la douleur et la jalousie comme nous. Il en est qui, jusque dans l’esclavage, pensent et sentent. Ceux-là, voyez-les chefs de famille, et flagellés en présence de leurs fils ; époux, pères, et ne pouvant défendre leur femme, leur jeune fille, les êtres de leur amour que l’on dépouille et auxquelles on inflige le profane supplice !

Tout concourt à éloigner l’esclave des unions durables. La famille n’est point praticable pour lui, jusqu’à un certain point ; le père n’y saurait avoir aucun caractère, l’autorité du maître est toujours au-dessus de la sienne ; quand il dit à son fils : « Vous ferez cela, » et que le maître dit : « Tu ne le feras pas, » le fils doit obéir, non point au père, mais au maître. L’enfant est esclave avant d’être fils.

Plaignez-vous encore que le mariage ne soit pas constitué parmi les esclaves ! Que peut-il être dans un mode d’existence où le père et la mère n’ont point les droits de père et de mère, où le mari et la femme ne sont point investis des droits de mari et de femme, où l’enfant, sorte de bétail doué de la parole, peut être détaché de la famille à un certain âge, comme