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aux coups de son possesseur ? Cela, non-seulement le maître le peut faire, mais aussi le géreur, mais aussi économe, mais aussi le commandeur ; le commandeur ! un esclave qui a nécessairement des passions d’esclave, quelque soit d’ailleurs sa supériorité intellectuelle sur ses camarades ! Il y a quatre hommes sur chaque habitation des colonies qui ont le droit d’y mettre nues toutes les femmes, et de les exposer aux regards de tout l’atelier…

(Il n’existe pas en France une seule société de femmes pour l’abolition de l’esclavage des noirs !)

Comment les lois de la pudeur seraient-elles connues à de pauvres créatures, pour qui la pudicité est impossible ?

Voilà de quelle façon l’esclavage moralise la race noire ?

Tous les colons, mêm lorsqu’ils sont mariés, usent des facilités d’un aussi horrible régime ; car « les hommes ne sont pas du tout raisonnables dans ce pays », ainsi que nous disait une vieille dame créole. Aux colonies, les mœurs sont à la lettre véritablement patriarchales, le rôle de la femme, comme épouse, est encore plus sacrifié que celui de la femme européenne, elle ne s’offense pas même que son mari prenne une concubine dans la couleur, elle ferait presque pour lui ce que Sarah fit pour Abraham[1]. Le mari ne cache que fort peu ses amours étrangers, et augmente sans scrupule la population des sang-mêlés. Rien n’est plus commun aux îles que d’entendre parler, devant des jeunes filles de quinze et dix-huit ans, du bâtard de monsieur tel ou tel. Toutes les servitudes se touchent, et les mêmes causes produisent partout les mêmes effets.

À part cet exemple, que leur donne les sévères détracteurs de la race noire, les nègres sont loin d’être encouragés au mariage ; on a plutôt pris à tâche de les en éloigner. On pensa un

  1. « Deviennent-ils chefs de maison, père de famille ; leurs femmes délaissées, sont les tristes compagnes de la nouvelle Agar qu’ils leur associent. » (Voyage aux Antilles. Léonard, poète créole de la Guadeloupe.)