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être libre, que la liberté serait pour lui un présent funeste [1] » dans leur code, ils promettent affranchissement à l’esclave qui dénoncera une conspiration ; chez eux, un nègre leur rend-il un service de marque, ils le font libre ! Quelle logique ! Et il en est peu d’entre eux, les faux méchans, qui ne lèguent en mourant l’indépendance à quelque domestique de prédilection. Allez, nous ne voulons plus vous écouter, possesseurs d’hommes, vous seriez abolitionistes comme nous, si vous n’aviez pas d’esclaves, vous mentez à votre cœur en vous torturant l’esprit pour défendre la servitude…

Après tout, si les nègres sont contents de leur sort, si aucun de ces misérables ne veut se racheter, pourquoi avez-vous donc toujours refusé le rachat forcé[2], en faisant valoir pour une de vos principales raisons « que les nègres voleraient afin de payer leur rançon ! » Mais ce n’est là qu’une de vos moindres contradictions. Si vous êtes sûr qu’ils se trouvent bien, pourquoi ces nombreuses et vigilantes croisières à l’entour de vos îles ? Pourquoi toutes vos côtes sont-elles couvertes de petits postes avec des embarcations uniquement chargées de s’opposer aux évasions sans cesse renouvelées vers les îles anglaises ? Pourquoi tous les canots des riverains de la mer doivent-ils être enchaînés ou enfermés sous clefs ? Pourquoi ce ban publié à la Guadeloupe au mois de mars 1838, qui promet 200 fr. de récompense à quiconque ramènera un esclave déserteur ? Que de

    prunter à madame Perrinelle, peu de temps avant le départ de cette dame pour l’Europe, 15 fr. destinés au baptême de son fils. Madame Perrinelle donna la somme, et n’y songeait plus lorsque, le lendemain de son retour, trois années après, on lui annonce la même négresse. Elle se rappelle alors l’argent prêté, et croit qu’il s’agit d’un nouvel emprunt. Point : la brave jeune femme s’avance, la remercie de nouveau, et lui présente les 15 fr. en petite monnaie. Inutile d’ajouter qu’elle les remporta. En vérité, si la race est mauvaise, il faut du moins convenir qu’elle a de nobles exceptions.

  1. M. Fel. Patron, aujourd’hui membre du conseil colonial.
  2. Le rachat forcé est le droit par l’esclave de se racheter, lorsqu’il apporte sa valeur métallique.